Déjà en ouvrant le livre de Sonia Kaleva Anguelova, on devine que les marginaux y auront une place de choix : le recueil est entre autres dédié aux exilés, aux exploités, aux femmes monoparentales. Il n’est pas surprenant, alors, d’y trouver les portraits de ces personnes, croisées fréquemment, dont on se demande si rarement qui elles sont vraiment. Pensons aux cordonniers, aux concierges…
Pleine de compassion lorsqu’il s’agit de ces gagne-petit, la narratrice (c’est presque toujours une femme) change rapidement de ton quand elle tombe sur des représentants d’autres classes. Ironique en parlant d’un critique de théâtre (qui, s’il ne se permet pas d’applaudir à la fin d’un spectacle, ne se gêne pas de profiter de la bière offerte gratuitement après la représentation), elle devient furieuse en écoutant les propos d’un immigrant : «Vous serez bientôt comme nous en France – envahis ! […] Ces maudits Arabes ! Sales, menteurs, voleurs, paresseux ! » Elle ne s’emporte pas uniquement contre l’homme en question, le ministère de l’Immigration subit aussi les foudres de sa colère.
Socialement et moralement engagés, la plupart de ces vingt-neuf textes s’apparentent davantage à de courts récits qu’à des nouvelles. Concis, ils paraissent souvent comme tirés d’un journal intime, esquisses d’une rencontre touchante, bouleversante ou, simplement, drôle. Les morceaux teintés d’humour sont, d’ailleurs, parmi les meilleurs. On lit avec délectation « L’incomprise »(au moment où tout bascule, la narratrice observe les mouches qui se posent sur la tête fraîchement rasée de celui qui a, jusqu’alors, été son « chum ») ou « Eux autres » qui, malgré son thème sérieux, ne peut que nous faire sourire. « Jean-François dit à Jean-Alexandre que Claude-Philippe Tessier-Saulnier avait rencontré Marc-André et Yves-Sébastien chez Jean-Claude Carrier-Tremblay, et que Sophie-Sylvie était là avec sa copine Anne-Claire-Soleil… »