Peu loquaces lorsqu’on les interroge au sujet de bonbonnière, les dictionnaires consentent néanmoins à distinguer signification obvie et sens figuré. Au premier coup d’œil, la bonbonnière, sans surprise, présente un assortiment de sucreries ; au sens figuré, elle prétend devenir un appartement décoré avec goût ou une petite maison élégante et commode. Le fascinant roman en portraits que signent Hans-Jürgen Greif et Guy Boivin satisfait, pour peu qu’on libère ses diverses harmoniques, à la double série d’exigences : on y trouve une succession tantôt émouvante, tantôt échevelée d’individus et d’ambitions, mais aussi le culte d’un nom, celui de Boiteau, auquel tout revient comme au pôle indiscutable. Car une inquiétude traverse le bouquin : la prophétie annonçant l’extinction du nom au bout de six générations va-t-elle ou non s’accomplir ?
Au départ, la mort du nom semble peu à craindre, tant la procréation est valorisée et abondante. Dès la première génération, onze enfants dont sept mâles. Les garanties sont cependant fragiles et les chiffres trompeurs. Les santés sont précaires, les accidents fréquents, les punitions divines assez peu négociables. Périodiquement, Greif et Boivin mettent à jour le recensement et réévaluent la prophétie. D’un bilan à l’autre alternent les certitudes et la crainte. La mort multiplie ses assauts, mais des sursauts se produisent, les berceaux se repeuplent. Même si le nom de Boiteau, nouvelles mSurs obligent, peut tout à coup se transmettre par les femmes aussi bien que par les mâles, rien ne lui garantit une septième cohorte.
Un des charmes de cette étrange trajectoire provient des prénoms. On savait le martyrologe riche en noms bizarres, mais on sous-estimait l’inventivité des parents et le poids des préférences familiales. Dans tel cas, il fallait, d’urgence, donner à l’enfant suivant le prénom du petit disparu. Ailleurs, au contraire, on estimait imprudent de faire planer sur le nouveau rejeton l’ombre peut-être maléfique de l’aîné décédé. Quand, à cet aléatoire, s’ajoutent la valorisation des garçons et l’analphabétisme de l’époque, les prénoms traversent sans vergogne la frontière des sexes. On se doute bien que Richarde est une fille, mais comment savoir à quel sexe appartiennent Monel, Rosédim, Claudiel ou Georgile ? La bonbonnière, accueillante, n’allait pas s’embarrasser d’un sexisme cartésien.
Une belle galerie de portraits si vraisemblables qu’ils sont sûrement inventés.