Récit autobiographique sous forme de chroniques, Un roman russe révèle un personnage-auteur en proie à des obsessions récurrentes : découvrir la vérité sur son grand-père géorgien disparu tragiquement, apprendre le russe, vaincre la jalousie, échapper à la folie en l’exorcisant mais comment ?
Le déclencheur : on propose à Emmanuel Carrère de réaliser un reportage sur un Hongrois fait prisonnier pendant la Seconde Guerre mondiale puis interné pendant plus de 50 ans dans un hôpital psychiatrique à Kotelnitch, bled paumé de la Russie profonde. Il n’en fallait pas moins pour que Carrère, qui accepte de faire le reportage, se mette à remuer un passé obsédant que l’on tait depuis toujours, à savoir la faute du grand-père maternel enlevé après la Libération alors qu’on l’accusait d’avoir collaboré avec les Allemands.
Un roman russe va de Paris à Kotelnitch et comporte plusieurs courts récits qui auraient pu faire l’objet d’un livre chacun : l’histoire d’amour de Sophie et Emmanuel, le reportage sur le Hongrois, l’histoire du grand-père, celle d’Ania, de Sacha et du petit Lev, celle d’Emmanuel en proie au désarroi En somme, Carrère touche à tout dans Un roman russe: psychologie, érotisme, histoire sous forme de nouvelle, de chronique, de grande confidence, si bien que l’on se met à regretter ses autres livres, plus accomplis. Sans doute l’écriture de ce récit fut-elle éprouvante car on sent à presque chaque page une grande charge émotionnelle liée sans doute à la transgression d’un interdit maternel. « J’ai reçu en héritage l’horreur, la folie, et l’interdiction de les dire. Mais je les ai dites. C’est une victoire. »
En fait, on lit ce livre furtivement et avec le même malaise que l’on ressentirait à lire les pages d’un journal intime. Mais Un roman russe recèle de grands moments, que l’on apprécie.