Inclassable. Par surabondance d’inspiration, de courage et d’intelligence. William T. Vollmann fait revivre l’entêtement de John Franklin à chercher jusqu’à la mort le passage du Nord-Ouest, mais il place aussi dans son sillage le mythique capitaine Subzéro et lui prescrit, un siècle et demi plus tard, de s’attaquer au même défi. Biographie, recherche, roman historique, par conséquent, mais aussi distance critique, réincarnation, parallèle. Deux efforts distincts et apparentés pour dialoguer avec les Inuits, aimer d’un seul amour Reepah, « une femme au cœur magnifique », hiverner dans l’inhabitable. Et comme si ce n’était pas encore débordant, Vollmann s’expose lui-même aux extrêmes froids du Grand Nord. Sans discours ni effet de manche, il côtoie la mort en s’imposant un séjour dans une station météo désaffectée de l’Arctique. Héroïque leçon de choses pour que chacun comprenne ce que signifiait pour des Inuits la transplantation décidée et imposée par les Blancs. Le temps est savamment syncopé, les identités se détachent ou convergent, le tout est hallucinant.
Au cas, hypothèse peu vraisemblable, où l’objectif de Vollmann ne serait pas suffisamment explicite, le bouquin se termine sur un impensable échange épistolaire entre l’auteur et ceux qui présidèrent à la « relocalisation » de ces petits groupes inuits. Laconisme et désinvolture sont substantiellement les mêmes de la part de la Gendarmerie royale du Canada, de sa « section historique », de la Makivik Corporation. Ou bien on ne répond pas aux demandes de l’auteur ou bien on affirme, tout en refusant de dire en quoi il a erré, qu’il a mal compris la situation.
Mais pourquoi ce titre ? Les fusils sont-ils responsables de tout ? De la raréfaction des caribous ? De la dépendance des Inuits à l’égard des denrées et des armes modernes ? En guise de réponse, Vollmann cite une brochure du gouvernement canadien (1990) : « […] tandis que les avantages économiques de la chasse, de la pêche et des pièges ne cessent de s’amenuiser, leur signification culturelle demeure forte. Toutefois, les faibles revenus de la chasse et du piège, associés aux coûts de plus en plus élevés des autoneiges, des armes, des munitions, et du carburant, font qu’il est plus difficile financièrement pour les gens de chasser ». Ainsi, en plus de déchirer consciemment le tissu culturel des Inuits, on leur aura rendu impossible une vie qui, déjà, exigeait endurance, sagesse, frugalité. Ouvrage puissant, acharné, émouvant, dont les croquis naïfs renforcent l’authenticité.