Quand, deux siècles après le Golgotha, la « secte chrétienne » commence à multiplier ses adeptes, les cultes traditionnels vacillent et s’inquiètent. Les clergés, par conviction ou par appétit, défendent leurs dieux par tous les moyens. L’empire romain, à la fois religion et puissance séculière, observe lui aussi avec méfiance et avec plus d’agacement que d’inquiétude la montée du christianisme. Son inquiétude est contenue, car il possède, plus que les autres cultes, les ressources pour abattre l’adversaire. À condition, toutefois, que ses légions demeurent fidèles à César et lui rendent l’hommage dû à un dieu. C’est dans ce décor que Jean Mohsen Fahmy situe et déploie son drame. Il raconte à la fois l’affrontement entre diverses fois religieuses et les déchirements de deux jeunes gens qui, au départ, adhèrent à des cultes opposés.
L’auteur peint avec finesse et compétence l’époque où l’empire romain n’est pas encore prêt à basculer, comme il le fera avec Constantin, dans le camp chrétien. Les empereurs utilisent encore les chrétiens comme boucs émissaires ; en leur imputant la responsabilité des malheurs qui frappent la collectivité, les empereurs justifient les persécutions. Qu’un soldat choisisse ce moment pour s’aligner avec les chrétiens demande plus que du courage. Et pour qu’une jeune femme, préparée depuis toujours à remplir le rôle prestigieux de prêtresse d’un culte païen, expose sa vie en bifurquant elle aussi vers le christianisme, il faut, là aussi, de l’héroïsme.
La compétence de Fahmy lui permet de mettre en lumière des aspects importants, mais peu connus, de la domination exercée par Rome sur tout le bassin méditerranéen. L’armée romaine occupe le territoire et contrôle tout. Elle a cependant l’intelligence, peut-être apprise d’Alexandre, de tolérer tout ce qui ne va pas à l’encontre de ses intérêts. Ses soldats s’acculturent aux pays où ils tiennent garnison. Ils en adoptent les mSurs et en épousent les filles. Tant que l’empereur reçoit l’encens qu’il exige, les autres dieux ont le droit d’exister. Malheur, cependant, au culte qui se prétend le seul légitime. Les relations amoureuses que décrit Fahmy correspondent donc à une réalité. Le décloisonnement et la coexistence existaient bel et bien.
À cela s’ajoute l’art du romancier : Fahmy rend humains et fragiles son héroïne et son héros, si fragiles qu’ils succomberont à la tentation et qu’ils auront l’un et l’autre des choses à se reprocher et peut-être à se faire pardonner. L’amour, la guerre, la religion, c’est un assez substantiel tableau.