Prenant et déroutant. Peut-être plus déroutant que prenant. L’idée d’un manuscrit qui passe d’une main à l’autre en laissant derrière lui un sillage de morts et de dévastations ne manquait pas de sel. L’explication offerte de cette étrange malédiction était elle aussi ingénieuse et pourtant plausible. Jusque-là, l’écriture aidant, le bouquin fascine. Les choses se gâtent quelque peu, cependant, quand se multiplient les ruses, les feintes, les esquives. Trop, c’est trop. Le comble est atteint lorsque tombe l’épilogue qui arrache encore quelques masques et qu’une coda vient coiffer et corriger l’épilogue lui-même. On a beau apprécier les poupées russes, on s’étonne si la plus petite prétend dissimuler une plus grande qu’elle.
Cette complexité, heureusement, ne manifeste que peu à peu sa tendance à fonctionner dans le vide. Les chapitres, courts et fluides, se succèdent assez longtemps sans que fléchisse l’intérêt. Le mystère impose sa présence dès que frappent mortellement les premières coïncidences ; il prendra une coloration particulière quand les personnages se révéleront préoccupés de « renseignements stratégiques ». Peut-être, qui sait ?, le manuscrit maudit appartient-il au monde de l’espionnage plus qu’à celui de la littérature. Mais l’intrigue multiplie les personnages, enjambe les décennies, ressuscite les visages disparus, avec le résultat que se brouillent les contours du « secret ». Déjà, dans Golden Eighties (Balzac, 1994), Fulvio Caccia avait manifesté son goût pour les personnages récurrents et constamment dédoublés. Il poursuit ici dans la même veine, mais avec une moindre justesse. Reste le plaisir d’avoir dégusté une écriture d’une grande agilité.