La question de départ est aussi légitime que banale : suis-je vraiment celui que je pense être ? Le docteur Alexandre Paradis, à 37 ans, ne sait de son identité que ce qu’on lui en a dit et qui ne lui a jamais inspiré confiance. Tôt ou tard, il lui faudra secouer cette incertitude. L’occasion se présente lorsqu’il est mis en présence, sur le quai de la gare ferroviaire de Rivière-du-Loup, de trois enfants surgis du néant. Ils parlent une langue inintelligible et n’ont visiblement jamais eu de contact avec ce qu’il est convenu d’appeler la civilisation. Le médecin y voit un défi et un devoir, peut-être aussi quelque chose de plus personnel. Il faudra les apprivoiser, décrypter leur code, retracer leur parcours. Le rapport entre leur mystère et celui qui hante le docteur Paradis se précisera peu à peu.
J. P. April écrit avec une sorte d’éclatante férocité. Ses personnages, rugueux et épiques, détestent les compromis et se situent allègrement hors de la société. Leurs mSurs ignorent tout de notions comme la décence, le tabou de l’inceste, la parole donnée ou le secret de la confession. Quand leur sexualité fait éruption comme un Pinatubo, ces demi-humains se moquent bien de savoir s’il en résultera un monstre ou une nouvelle génération d’esclaves. Qu’ils soient déserteurs ou ensoutanés, ce sont des rebelles repliés sur leurs refus. On doit pourtant, avant de taxer April de verser dans l’invraisemblable, se rappeler avec quelle facilité naissent et se répandent les sectes, avec quelle désespérante obéissance les fidèles suivent les gourous. Pour un Moïse clairement identifié, combien en ignore-t-on qui exercent leur emprise sur une candeur inépuisable ? Et même si ne se vérifient pas toutes les rumeurs répandues par la méchanceté populaire, combien de secrets opaques dorment pendant des décennies au creux de villages censément puritains ? April, romancier puissant, ne joue pas au sociologue. Ou à peine. Son lecteur garde cependant le droit de déceler des liens entre sa fresque fantastique et les inattendus de la nature humaine. Après tout, selon l’adage, « only the unreadable occurs ». Du souffle, de la liberté, que demander de plus ?