En lisant la quatrième de couverture, on n’est pas sûr de comprendre : c’est de l’histoire ou de la fiction ? Qu’est-ce que c’est que ces procès instruits contre des cochons, des chenilles, des souris ?
C’est de l’histoire. Dès le XIe siècle (et peut-être avant), et jusqu’au début du XIXe siècle encore, il n’était pas inusité que l’Église ou la Justice convoquent au tribunal des bestioles ravageuses, de la vermine ou des animaux domestiques pour les juger. En bonne et due forme : on leur nommait un avocat, on leur demandait ce qu’ils avaient à dire pour leur défense et on les condamnait (la plupart du temps !). Au tribunal ecclésiastique, les bestioles déclarées coupables d’avoir ravagé les vignes (chenilles), empoisonné l’eau potable (sangsues) ou détruit les provisions (rats, souris) étaient rien de moins qu’excommuniées. Au tribunal civil, les animaux domestiques (chevaux, chiens, mais surtout cochons) condamnés pour homicide (généralement sur des poupons dans le cas des cochons) étaient pendus haut et court et exposés aux passants comme tout vil malfaiteur.
C’est ainsi qu’on apprend que la comédie Les plaideurs de Racine, bien qu’inspirée d’Aristophane, raconte une affaire qui s’est bel et bien passée en Basse-Normandie, où un chien a été cité en justice pour avoir volé un chapon.
Tout en nous contant ces histoires surréalistes (mais réelles) comme il raconterait un roman, l’auteur tente de réfléchir avec nous à cette société qui était forcément si différente de la nôtre. Une société où, la science étant encore inexistante, l’homme était laissé aux affres de la peur et de l’impuissance, une société où la religion inculquait à tous une vision du monde qui nous est totalement étrangère, où les rapports entre l’homme et l’univers, entre l’homme et la société, entre l’homme et la bête n’avaient rien de commun avec nos visions modernes. Il faut voir comment l’avocat Rambaud, en 1587, défend brillamment une colonie de charançons en invoquant la « Genèse » : « Et dans ce même livre sacré, Dieu dit : à tout ce qui rampe sur la terre et qui est animé de vie, je donne pour nourriture toute la verdure des plantes ». L’habile avocat a ainsi désarçonné tout le tribunal et réussi à étirer la procédure sur des semaines.
On lit ça, on est renversé et on ne peut s’empêcher de se demander quel regard jetteront sur nous les sociétés du XXVe siècle.