Un livre qui, dès l’intitulé, claironne à la fois son origine et son effet : la désillusion. Un regard dessillé. Au fond, le risque auquel s’est exposé Michel Cormier, en acceptant un poste de correspondant à Moscou pour la SRC/CBC, est le même que courent tous ceux et celles qui décident d’examiner de près certains aspects de la vie et du monde qui les charment, les intéressent. Malgré le fabuleux jeu de jambes qu’elle donne en spectacle, il semble que la nature humaine ne tienne que rarement ses promesses.
C’est en sillonnant le terrain et en recueillant les témoignages des gens du peuple que le journaliste nous offre, nous élevant au-dessus des idées reçues auxquelles nous ont habitués les topos médiatiques – le monde, comme la Russie, « n’en est pas à un paradoxe près » -, une relecture intègre et captivante d’événements majeurs ayant ponctué le passage du communisme au capitalisme ainsi que l’implantation difficile, voire froidement contrecarrée, de la démocratie en Russie depuis la chute de l’URSS. Y sont rappelés le naufrage du sous-marin Koursk, le bourbier tchétchène – ce Viêt Nam russe -, l’arrivée au pouvoir de Vladimir Poutine et son opération d’assujettissement des médias, sans oublier un long détour consacré à la guerre de 2001 en Afghanistan.
Somme substantielle d’informations tant géopolitiques que socioculturelles, l’ouvrage de Michel Cormier m’apparaît d’un intérêt particulier pour les historiens et les sociologues du livre et de l’imprimé ; sa description de l’emprise du Kremlin sur l’opinion publique et de son ingérence dans les médias rappelle le phénomène de concentration verticale identifié par André Schiffrin dans L’édition sans éditeurs, Le contrôle de la parole, à la différence que cette « main basse » est ici le fait d’un appareil d’État visant l’hégémonie politique, et non d’un conglomérat multinational d’actionnaires aux yeux desquels la moindre chiure de mouche doit encore être rentable.
Une lecture indiquée, certes, pour quiconque s’inquiète du sort mondial et souhaite s’en enquérir. On remerciera l’auteur de n’être pas – ou si peu – tombé dans le sentimentalisme sensationnaliste, ni dans la vaste panoplie des jugements de valeur gratuits. Enfin, je prends sur moi de louer cette vertu rare des journalistes de grand reportage, l’aptitude qu’ils ont à DEMEURER CALMES, tant lorsqu’ils sont en contact direct avec les atrocités de ce monde que lorsqu’ils transmettent leur expérience au public ; La Russie des illusions est l’ouvrage posé d’un homme intègre.