Faire défiler sa vie pendant que se déroule la promenade dans un jardin vibrant de culture et de souvenirs, qui n’a pas rêvé d’un aussi beau mariage ? Maria vit et fait vivre cette rencontre entre la merveille d’une autre époque et le parcours sans prétention d’une femme d’aujourd’hui. L’étonnant, c’est que jamais ne paraisse artificiel le contre-point entre les réminiscences personnelles et les composantes du merveilleux jardin qui jouxte l’Alhambra. L’Espagne y reconnaît sa dette à l’égard de la culture musulmane. Maria, plus pèlerine que touriste, admire l’architecture, sent les parfums, écoute les fontaines qui ont la délicatesse de sourdre du sol au lieu de s’épuiser en jets prétentieux. Maria appartient à ce temps-ci, au point de consentir à l’accompagnement d’un guide audio, mais son regard porte assez loin et profondément pour sentir, dans cette Grenade quand même plus mauresque que chrétienne, « une symbiose complexe entre fervents du croissant et porteurs de croix ». La visite se déroule à pas lents, parfois dans le silence et la solitude, parfois heurtée par les commentaires crispants de touristes pressés. « Chaque homme qui a traversé ce jardin en a fait ce qu’il voulait, et ce, dès les premières décennies, alors que déjà, Ismaïl I l’avait agrandi pour célébrer sa victoire de la Vega. La fin d’une ère, la mienne, marquait aussi le début d’une autre. » Grâce à l’histoire, insertion dans la vie.
Car Maria, d’escalier en fontaine, de mirador en jardin, poursuit sa « recherche du temps perdu ». Les étapes de sa vie défilent au gré des souvenirs que fait lever la promenade. Il y eut la famille, le grand-père, l’amitié, la fantaisie des confidences, les livres lus pour apprivoiser le bibliothécaire… La peinture a sévi comme une passion, mais il lui aura fallu poser nue pour qu’agisse l’osmose entre le modèle et le pinceau. Quand le deuil a frappé près d’elle, Maria s’en souvient, elle a sombré dans l’aboulie. Même son amour pour l’intuitif Issa a vacillé. La reconstruction fut longue, exigeant du corps la rude discipline du marathon pour que surgisse de nouveau la confiance. Puis, vinrent la maternité et de nouvelles inquiétudes.
Katia Canciani réussit un parallèle prenant entre l’humble parcours d’une vie pareille aux autres et le princier « jardin de l’architecte » dont Grenade s’enorgueillit toujours. Les personnages sont vrais, émouvants, semblables à nous et donc uniques.