L’invitation est douce et fraternelle. Dormir et écrire. Écrire, dit Jacqueline Kelen, c’est embrasser le monde entier. Dormir, écrire, aimer, c’est enlacer infiniment. Pendant dix ans, elle a rédigé cet hymne à la vie dormante, dans lequel elle propose de délaisser le monde connu des journées ensoleillées pour pénétrer avec la délicatesse du chat dans le monde de la nuit. C’est-à-dire se rassembler, devenir entier, quoi. Car dormir, c’est une marque divine qui, à chaque endormissement, permet à l’être humain de retrouver sa filiation.
Mais au fait, que se passe-t-il la nuit ? Les songes hantent et le corps et l’esprit du dormeur, plongé dans quelque chose d’immense et en même temps totalement à la merci des contingences extérieures. Ce lâcher-prise est étonnant quand on y pense. Le dormeur est dans un absolu lointain et, souvent quand le voyage a été prolifique et bénéfique, il en revient ragaillardi, plein d’envies nouvelles. Ne dit-on pas que les plus belles idées viennent du sommeil ?
« Sommeils », écrit-elle au pluriel, ne signifie pas sombrer dans le néant et se réveiller du rien, le lendemain matin. Non, l’auteure voit une nette parenté entre sommeil, écriture et amour et, par le biais de quelques grands textes fondateurs, elle tente la démonstration, tournant autour du point névralgique : le lit qui n’est définitivement pas un meuble à tout faire. Le lit est un lieu de rencontres, surtout. Dormir avec sa douce moitié, ce serait lui proposer d’entrer, unis et séparés, dans l’illimité. Intrigante perspective quand même que le corps de l’autre si proche et en même temps pleinement parti, mais parti où au juste ? Dans le monde de l’innocence ? En fait le sommeil se mérite, se gagne, s’étreint et se garde. Enfin ce sommeil particulier ouvre les portes de l’infini et favorise les états d’adoration.
Jacqueline Kelen voulait écrire avec les yeux aigus du sommeil, si proches des yeux de l’espérance, et avec des vocables belliqueux. Dans un style tout à la fois intimiste et baroque, elle emporte le dormeur dans sa barque et réussit à le bercer sans le faire sombrer dans un sommeil profond. Comment, après ces lignes, ne pas croire comme elle que l’être humain gît dans le merveilleux ?