Certains auteurs, peut-être parce qu’ils ne viennent pas à la télé donner leur opinion sur une béchamel, les tendances en décoration intérieure ou la mode printanière, sont, en conséquence, moins connus. Larry Tremblay est de ceux-là. Il est pourtant l’auteur de l’un des meilleurs textes dramatiques québécois : The Dragonfly of Chicoutimi (Les Herbes rouges, 1996, réédité en 2006). Et il vient de publier, sans faire de bruit, un recueil de trois récits, brefs et distincts les uns des autres, rassemblés sous le titre Piercing.
Urbaine et sensuelle, chargée d’ambiguïté et de doute, originale et poétique, mais ancrée dans un réalisme sans fard, l’écriture de Larry Tremblayrepose sur de solides bases comme la construction langagière, le rythme et une architecture du récit impeccable. Car il s’agit bien d’architecture, de la mise en place, pièce par pièce, d’un casse-tête qui se précise au fur et à mesure que la lecture progresse, que l’on glisse dans le récit. Le premier récit est « La hache » : la course folle, à travers les rues de Montréal, d’un professeur de littérature qui se rend, en pleine nuit, chez un de ses étudiants pour lui remettre sa copie corrigée Récit le plus extrême du recueil, « La hache » dresse un délicat parallèle entre l’extermination massive de bovins, lors de la crise de la fièvre aphteuse en Europe, et l’intolérance qui hante nos villes dans lesquelles « le mal, c’est la pureté avec sa hache. Parce que la pureté n’a jamais appris à dire oui ou non, elle ne connaît pas la jouissance de pouvoir choisir, elle ne fait qu’assassiner ce qu’elle croit ne pas être elle ».
Le récit titre, « Piercing », raconte la fugue d’une adolescente de Chicoutimi qui, à la suite du décès de son père, mort sans avoir jamais prononcé le mot amour, s’enfonce dans Montréal et la marginalité, avec naïveté et désœuvrement. Marie-Hélène semble inutilement sacrifiée sur l’autel d’une beauté cruelle et nécessaire. Et pourtant, c’est dans cette ville sale, où le goût de la chair est « aussi fade et écœurant que le caoutchouc », qu’elle a rendez-vous avec elle-même.