Même s’il ne joue pas à l’historien et ne revendique jamais le prestige de l’universitaire patenté, Romain Saint-Cyr a investi de minutieuses et éclairantes recherches sur une tranche peu connue de l’histoire maritime québécoise. Malgré le passage du temps et quelques révélations, peu d’entre nous soupçonnent ce que fut pendant la guerre de 1939-1945 la présence des sous-marins allemands dans les eaux du Saint-Laurent. A fortiori, on ignore le nombre de bateaux coulés par les torpilles allemandes, tout comme on range parmi les légendes incontrôlables le débarquement en sol gaspésien d’espions allemands. Saint-Cyr, gentiment mais fermement, remédie quelque peu à notre amnésie.
Les principaux mérites du livre se situent pourtant ailleurs que dans les récits guerriers. Le vocabulaire maritime, qui séduit même les rustres terriens comme moi, règne ici en maître. À se demander, sans répondre à la question, si le terme s’est imposé parce que juste ou parce que beau. Dans les deux hypothèses, on sent chez Saint-Cyr l’amour de la mer, l’empathie avec la voile, la quille, l’étrave, l’aptitude à sentir jusqu’où le bateau mérite confiance, l’espèce de témérité amoureuse qui demande parfois à l’embarcation un peu plus que son potentiel.
Ni la guerre et ses secrets ni la navigation et ses vertiges ne doivent toutefois faire oublier que le roman de Saint-Cyr est avant tout une histoire d’amour qui traverse le temps et qui écarte une à une les multiples impossibilités que la vie jette sur le chemin de ceux et celles qui, une première fois, ont raté leur rencontre. Voyage sur l’eau, mais aussi et surtout lutte contre le temps jusqu’à la réappropriation des géniteurs disparus. Est-il jamais trop tard pour l’amour ? Saint-Cyr ne le croit pas. Le titre, très beau, donnait déjà un éclairage envoûtant au pèlerinage. Le roman va plus loin. Quand une femme fait naufrage alors qu’elle chemine douloureusement vers sa vérité, ses sources et son moi profond, elle est belle.