Depuis ses tout premiers titres parus en français, Yoko Ogawa entraîne ses lecteurs dans un univers où normalité et étrangeté se côtoient sans cesse. Ses personnages évoluent au cœur de situations singulières, néanmoins truffées de petits détails banals de la vie quotidienne, suivant les traces d’une mémoire oubliée. Telle était la trame du précédent roman de la prolifique écrivaine japonaise, Amours en marge, où les problèmes auditifs de la narratrice incarnaient la trace occultée d’événements enfouis dans ses souvenirs. La formule préférée du professeur, son plus récent titre publié encore une fois en coédition chez Actes Sud et Leméac, pousse plus loin le travail d’Ogawa sur les dérives de la mémoire.
Aide-ménagère contractuelle, la narratrice est envoyée par son employeur chez un ancien professeur de mathématiques qui, à la suite d’un accident de voiture aux désastreuses conséquences, a dû quitter son poste à l’université. Reclus dans son petit pavillon derrière la maison où vit la veuve de son frère, le professeur résout les problèmes qui paraissent dans le Journal of Mathematics, et tous les matins, il enfile son veston où sont épinglées des tas de petites notes dont celle qui lui permet de se rappeler la gravité de son état : « Ma mémoire ne dure que 80 minutes ». Pour appréhender un monde qui lui échappe, le professeur n’a que les mathématiques. « Je déterre les théorèmes qui sont là depuis bien avant ma naissance, dont personne n’a senti l’existence. Un peu comme si je transcrivais ligne après ligne la vérité inscrite sur le carnet de Dieu. Personne ne sait où se trouve ce carnet, ni quand il s’ouvre », explique-t-il à la narratrice et à son fils de 10 ans qui, peu à peu, se laissent séduire par le mystère et la beauté de ces nombres qui les lient dans une relation unique, sans cesse à reconstruire.
Yoko Ogawa a remporté le premier grand prix des libraires japonais pour La formule préférée du professeur de même que celui de la Société des mathématiques pour avoir su transmettre la beauté de cette discipline. Une œuvre émouvante et lumineuse, peut-être le plus beau roman d’Ogawa jusqu’au prochain !