Fin XIXe siècle, à Venise. Une femme de 29 ans, issue d’une famille pauvre et austère de Nouvelle-Angleterre, s’engage sur les chemins de la liberté. Fille de pasteur, orpheline de mère, Mary Gordon a été réduite dix ans plus tôt à se faire gouvernante, l’un des rares métiers accessibles à une fille de sa condition. Au début du roman, Mary est en devoir à Venise avec la fillette qui lui est confiée, Annabelle. À la fin du séjour, à la veille de rentrer, la gouvernante est conduite à l’hôpital pour ce qui ne s’avérera par la suite qu’un malaise. Guérie et seule, Annabelle étant partie en compagnie de sa mère, la gouvernante prend la ferme décision de couper les amarres avec son passé, y compris avec son père et ses frères. Venise, quoique plutôt décadente, lui offre le cadre voulu pour nourrir son penchant pour les arts, notamment son aptitude au dessin, et pour échapper à la condition des femmes de son époque.
Son émancipation se fera en plusieurs étapes, au gré des personnages que le hasard et la nécessité placeront sur sa route, qui la mènera de Venise en 1893 à New York en 1939, en passant par Vienne, Nantes et Paris. Mary reconnaît devoir à chacun des amants, avec qui elle a délibérément fait un bout de chemin, une part de sa libération sexuelle. Si quelques personnages féminins l’inspirent, la plupart illustrent plutôt l’aliénation des femmes de son époque et servent de faire-valoir à celle qui a choisi contre vents et marées de se consacrer à son art, ce qui implique d’être maîtresse de son existence.
La Fraga s’avère un roman initiatique et une fresque d’époque. Sensuel, voire érotique par moments, ce roman donne par ailleurs une impression de surcharge. La surabondance de détails historiques, picturaux et architecturaux crée un effet d’étalage plutôt que d’érudition, sans compter les nombreux mots et phrases en italien non traduits dont l’écrivaine italianisante parsème son récit sans que la chose ne soit motivée. Finalement, l’emploi immodéré de parenthèses laisse croire que le temps a manqué à la romancière pour une dernière révision. Néanmoins, ce n’est pas ce qui fera ombrage à la réputation de Danièle Sallenave, écrivaine française reconnue pour la qualité de ses traductions de grands romanciers italiens, pour ses nombreux romans et essais, dont le récent, Dieu.com, témoigne de sa vaste culture, de sa lucidité et de sa sensibilité.