Trois amis amoureux de la même jeune femme. Pierre, Alexis, William entretenant tous l’espoir d’être l’élu de Claire. Ils participent tous les quatre, du moins en 1968, à la contestation, mais pas tous de la même manière. Le syndicalisme pactise-t-il avec le système ? Le jeu électoral est-il crédible ? La révolution est-elle la seule voie logique ? Les nuances se précisent, qui engendreront peut-être les différences de la maturité. Le temps tranchera, certes, mais sans nécessairement imposer à tous la même transformation. Un moment, Claire semble la seule dont l’intransigeance ait résisté à l’érosion. Elle a fui, brouillant les pistes, cultivant toujours la même ferveur. Quand elle refait surface, vingt-cinq ans plus tard, sa foi jette les mêmes étincelles. La stratégie a changé, mais pas le dessein de frapper le système dans ses rouages vitaux. Cette fois, la révolution se préparera à grands coups de révélations. On étalera les turpitudes des gouvernants, celles commises à gauche comme les autres. Les journaux recevront les dossiers compromettants et le peuple apprendra à ne compter que sur lui-même.
Rédigé avec rythme pendant environ les deux tiers de son parcours, le bouquin s’assèche quant le spécialiste qu’est Laurent Joffrin coupe la parole au romancier qu’essaie d’être le même Laurent Joffrin. Les savants jeux de coulisses prennent le pas sur l’histoire humaine et sentimentale de Claire et son trio d’amoureux mal guéris. Trop de calculs politiques et trop peu de mises à jour des fidélités. Trop de roueries perpétrées par les vétérans du pouvoir et trop peu de retours sur les ébranlements subis par les jeunes enthousiasmes. Quelques chapitres, tel celui qui liquide Bernard Tapie ou celui qui retouche le mythe des Beatles, donnent du piquant à l’ensemble, mais l’anecdote y occupe plus de place que l’analyse. C’est dommage, car ils sont nombreux – et attachants – les soixante-huitards qui se demandent s’ils ont démérité, si leurs adversaires de l’époque furent plus habiles qu’eux, si c’est la guerre ou une bataille qui a été perdue. Un mot frappe, qui revient dans les nombreux romans consacrés à cette interminable « convalescence » : « À l’époque, on ne rêvait pas pour soi. On rêvait pour le monde ». S’agit-il d’une époque ou d’un âge que tous traversent et que la plupart oublient ?