« Moins j’ai de choses à dire, plus j’écris » : ces propos résument une bonne partie du roman Le vieux fantôme qui dansait sous la lune, de Sophie Frisson, paru récemment chez XYZ éditeur. Le personnage de Sophie (aussi narratrice et auteure, sous le couvert d’un pseudonyme), apprentie romancière en vacances au Mexique, tente d’y écrire le chef-d’œuvre du millénaire. La jeune femme peine, à la recherche d’un moyen de se réconcilier avec la littérature, ce qui lui permettrait de faire fusionner réalité et fiction : « Pourquoi me suis-je réfugiée dans cette fabrique de soupe artificielle ? Est-ce que j’aurais peur du monde réel ? [ ] Est-ce que je m’enfonce dans la littérature parce que j’aime me poser des questions inutiles ? » Les réponses surgissent sous forme de critiques acerbes non seulement à l’égard de la littérature et des grands auteurs (Gérard de Nerval devient un « vieux pédé », tandis qu’Ernest Hemingway, Francis Scott Fitzgerald et Henry Miller figurent des « tocards »), mais encore à propos du mode de vie occidental en général. Jusqu’au jour où Sophie se laisse enjôler par un vieillard, magicien de l’écrit à ses heures, qui lui apprend à manier le temps. Touchée par l’intensité de cet homme dépravé mais non moins doté d’une grande sagesse, Sophie se transforme pour lui en la mère qu’elle a toujours refusé d’être.
Le roman de Sophie Frisson explore une problématique qui, bien que traitée précédemment par quantité d’écrivains, n’en demeure pas moins actuelle en ce qu’elle caractérise le cheminement de tout individu : comment apprendre à vivre en accord avec soi dans un univers tenaillé par le temps qui, dans sa fuite inéluctable, conduit en droite ligne vers la mort ? Présenté sous forme de journal personnel, le récit use d’abord à foison d’ironie, tournant tout propos à la moquerie, pour adopter par la suite un ton sérieux qui lui donne sa stature. « Pourquoi est-il si difficile d’être jeune ? » demande la narratrice au moment où elle réalise que sa mémoire n’est qu’un réservoir d’impressions superficielles. Lorsque le vieillard disparaît dans un accident de parapente, Sophie comprend que toute « vie se [termine] inachevée ». Elle saisit la nécessité de vivre l’instant présent, de donner à sa vie une intensité singulière, ce qui confère au roman la portée d’une réflexion profonde sur les aléas de l’existence.