Si la plupart des chercheurs qui s’intéressent à la littérature québécoise sont conscients de l’importance d’en repérer les mythes structurants, peu se consacrent toutefois à ce travail. Monique Boucher a choisi de s’y vouer : se réclamant de la mythanalyse de Gilbert Durand, elle propose, dans L’enfance et l’errance pour un appel à l’autre, une lecture singulière de romans québécois parus entre les années 1960 et les années 1990, qui ont marqué l’institution littéraire. L’objectif principal de l’ouvrage consiste à « élucider d’une part l’interaction qui existe entre les inconscients collectif et individuel dans le processus de création littéraire, et d’autre part à examiner les ouvertures interprétatives que suggère l’analyse de l’imaginaire littéraire ». Les romans de Michel Tremblay, de Réjean Ducharme et d’Anne Hébert servent de matériaux de base dans cette quête d’un récit imaginaire collectif et permettent de « cerner l’incarnation culturelle de l’œuvre littéraire ».
Les habitués de la mythanalyse reconnaîtront dans l’étude de Monique Boucher le métalangage et les rudiments propres à la méthode. Ouvrage s’adressant davantage au spécialiste qu’au profane, L’enfance et l’errance pour un appel à l’autre repère, par le recours à une analyse de type thématique puis symbolique, certaines figures mythiques qui semblent se déployer précisément dans le romanesque québécois des trente années étudiées, mais qui sous-tendent à vrai dire l’essor culturel en pleine ébullition à l’époque. Le basculement constant entre sédentarité et nomadisme, caractéristique de la société canadienne-française depuis ses débuts, sert de pierre de touche à la thèse avancée par Monique Boucher, qui voit dans l’enfance et l’errance les deux vecteurs dynamisants de la culture québécoise. « […] au-delà des résonances idéologiques, l’affirmation de l’identité passe également par l’expression d’une quête qui se traduit dans un mouvement de balancier oscillant entre les images de l’enfance et celles de l’errance pour exprimer l’angoisse de cette affirmation non résolue. » Le grand mérite de l’auteure consiste ici à donner de la littérature québécoise un visage marqué par la nécessité d’apprivoiser les dangers associés au passage inéluctable du temps.