Tout périodique qui dure un demi-siècle a le droit de pavoiser. Dans le cas des Écrits, prendre acte du seuil franchi ne suffirait pourtant pas. Ses mérites, en effet, ne se limitent pas à la fermeté ni à l’infinie patience ; ils comprennent aussi et surtout la qualité de l’accompagnement, la finesse de la connivence entre une revue et un peuple en marche.
Le plan de ce substantiel numéro des Écrits va d’heureuse façon à l’encontre de la chronologie. Le présent parle d’abord. Trente auteurs apportent leurs contributions. On les lit avec plaisir, mais sans étonnement : on les connaît, on les sait capables de merveilles. Robert Lalonde puise dans ses mondes métissés, Lise Gauvin raconte son Paris, Monique LaRue compare l’écriture d’hier et celle d’aujourd’hui qui fait disparaître les hésitations. On devrait s’étonner de cette richesse, tant elle est d’acquisition récente.
De ce présent, il devenait possible de mesurer plus explicitement le chemin arpenté. L’entrevue avec Naïm Kattan rattache le projet osé par Jean-Louis Gagnon il y a cinquante ans et l’abondante production littéraire d’aujourd’hui. Elle ressuscite les heures où littérature et convictions politiques peinaient à définir leurs relations et leurs fiefs respectifs. On imagine mal aujourd’hui ce que fut ce temps.
L’anthologie établie par l’homme de culture et de goût qu’est André Brochu couronne le collectif en donnant la parole à ceux et celles qui ont alimenté Les Écrits pendant cinquante ans. La sélection laisse finement sentir le passage du temps et la réinvention des charnières, ranime les textes marquants, rappelle le coup de griffe typique d’un auteur, évoque la lutte de tel écrivain pour se soustraire à la chape de plomb d’une certaine foi…
L’ensemble est source de fierté. Au moment où les pouvoirs publics font de leur pire pour nier et déprécier la vie intellectuelle, ce bilan des Écrits en établit la fécondité.