Chercheur, consultant en anthropologie, formateur, chroniqueur, conférencier, Serge Bouchard a publié de nombreux livres sur les Inuits, les Métis et les peuples autochtones d’Amérique du Nord. Il est considéré comme le spécialiste du monde amérindien qu’il évoque avec un immense charisme, dit-on, dans les nombreuses conférences qu’il donne ici et là.
C’est un texte de ce grand voyageur, publié initialement en 1977 sous le titre Chroniques de chasse d’un Montagnais de la Mingan, ou le récit autobiographique de Mathieu Mestokosho, chasseur innu de la Côte Nord, que Boréal a eu la brillante inspiration de rééditer. Si l’on apprend dès la préface que le monde de Mathieu est révolu, la magie du récit opère : quand l’étudiant en anthropologie qu’est Serge Bouchard rencontre en 1971 un vieil homme prénommé Mathieu, probablement né en 1885, il utilise un magnétophone, cette « technologie du Blanc [qui fait] renaître au moins dans la parole ce monde qu’elle a tant contribué à défaire ».
Non sans une certaine poésie, Serge Bouchard ressuscite la mémoire de Mathieu Mestokosho dont le peuple, si méconnu, a tant à nous montrer : « Ce fut le génie de ce peuple nomade que de cultiver les qualités de la mobilité et de la flexibilité dans son adaptation à un milieu naturel extrêmement exigeant ». Une terre immense, aimée et nourricière dont les Innus éprouvent les moindres recoins, la nature magique, les caprices et les bienfaits, les animaux qu’il faut connaître « de l’os jusqu’à l’esprit » car « un bon chasseur est un animiste scrupuleux ». La nature, cette nature authentique que nous ne connaissons pas, est omniprésente, parfois lourde de dangers, souvent prodigue d’offrandes. « Le fruit de la chasse est précieux. Le gaspiller est un acte grave », rappelle Mathieu dans ce qui semble être, au cœur de nos vies modernes où la consommation est érigée en vertu, la sentence périmée d’un vieux nostalgique. Car dans le monde des anciens, dans le monde de Mathieu, dans ce monde révolu, « l’autorité est au mérite, l’admiration est au constat, le sérieux à la performance ».
La vie y est dure mais elle y est célébrée. Il y a là beaucoup de poésie et beaucoup de sujets de réflexion. Un formidable retour aux sources, consigné avant que cet univers traditionnel qu’évoque le vieux et sage chasseur innu ne soit balayé par une « immense faillite ». Mathieu Mestokosho n’est plus. Reste sa voix.