« Je ne sais pas, finalement, si je parle de Jack ou de moi-même », peut-on lire dans Jack Kérouac, un essai paru d’abord en 1972. Il n’y a pas de doute pour Typo, qui a choisi, pour la réédition de ce classique, la photo de Victor-Lévy Beaulieu en couverture de son livre. L’auteur y adopte une écriture spontanée à la Kérouac, en insérant dans sa phrase parenthèses et tirets, pour laisser libre cours à sa pensée : associations d’idées et allusions à ce qui se passe en lui et autour de lui au moment de l’écriture forment de longues digressions. Et, quand l’inspiration s’en va, des lignes pointillées coupent un paragraphe ou mettent un terme à un chapitre. Beaulieu ne cache pas que l’écriture de ce livre lui a donné du fil à retordre : « Rien ne m’a été aussi difficile que ce livre infaisable, recommencé trop souvent, ou découpé en séquences cinématographiques ». C’est que le romancier canuck semble agir sur l’écrivain québécois comme un révélateur : « T’es une fin de race, comme ce sacré vieux Jack [ ] », s’avoue-t-il.
Pourtant, n’a-t-on pas fait de Kérouac le chantre, voire le pape de la Beat Generation ? Un mythe, d’affirmer l’auteur, une réputation créée par une jeunesse qui n’est pas allée plus loin que On the Road, le roman-culte. Victor-Lévy Beaulieu, lui, n’a pas quitté le romancier qu’il a découvert à Paris, depuis ce jour de 1967 où il tomba par hasard sur un de ses livres dans lequel, en le feuilletant, il lut : « Ciboire, j’pas capable trouver ça ». Selon lui, Kérouac crée à partir du langage, là est son génie, quoiqu’il soit un merveilleux conteur, mais sans se distinguer en cela des romanciers américains traditionnels. Ses quelque vingt romans, « des manières de confessions publiques », révèlent un romancier « allergique à des mots comme succès, bonheur, santé, argent et gloire ». Le mythique chantre de la Beat Generation, né au Massachusetts de parents canadiens-français, incarne le Canadien français catholique tourmenté, résigné dans sa misère et tourné vers le passé quand il pourrait miser sur l’avenir. N’empêche, il fascine Beaulieu qui éprouve à la fois admiration et répulsion et pour cause : « Les livres de Jack sont ce que le Québécois a fait de plus douloureux contre lui-même – Peau de chagrin canuck ».
Un ouvrage qui n’a rien perdu de son originalité et de sa pertinence plus de trente ans après sa parution.