Accablée d’une hérédité paternelle lourde à porter, Charlotte est mariée à un écrivain très épris d’elle malgré tous ses excès, celui de l’alcool en particulier. Le couple s’apprête à passer quelques mois en Égypte. Mais lors d’une cuite un peu plus dévastatrice que les autres, Charlotte déchire rageusement son billet d’avion : la crise de trop qui fera en sorte qu’elle ne s’envolera pas avec Julien. « Coûteux billet que j’ai déchiré en mille morceaux, le soir de ma dernière virée. Tu ne me l’as pas pardonnée, celle-là. Deux semaines plus tard, tu partais seul. Je n’ai pas protesté. J’avais honte. »
Il faudra néanmoins sauver ce qui peut l’être auprès des proches, les apparences. Alors que tout le monde dans leur entourage les croit partis ensemble, Charlotte reste sur le carreau, ermite d’une retraite forcée en banlieue où personne ne connaît rien d’elle, pour aller jusqu’au bout de sa nuit. Un long voyage introspectif, qui nous fait visiter pourtant d’autres horizons, remugles de périples anciens, évasions par quelques lectures (Paul Bowles, J.M.G. Le Clézio, Serge Doubrovsky ), impressions fugaces et vertigineuses. Charlotte entame sa longue et solitaire descente aux enfers, sans guère d’espoir de pouvoir un jour remonter, même si ses confessions épistolaires laissent entrevoir, peut-être, le bout du tunnel. Elle écrit : « Mes suppositions paranos s’évanouissent au fur et à mesure que descendent les gorgées au fond de mon gosier vide ».
C’est au style, émouvant et troublant, de Francine D’Amour que l’on doit d’avaler tout le pathétique d’une situation désolante et c’est encore cette écriture admirablement maîtrisée qui fait de Charlotte un personnage si vrai qu’on la suit sans broncher dans ses douloureux monologues : à lire sans modération.