Essai ou biographie ? Les deux genres sont si intimement imbriqués que mieux vaut les traiter comme des siamois inséparables. On remarquera, toutefois, l’inversion que tente la présentation : Pierre Lajoie, qui rappelle son pouvoir politique avant de raconter sa descente aux enfers, laisse ainsi entendre, en battant qu’il est, que sa chute fut une étape, non pas un aboutissement. Vision légitime.
Tôt admis dans les cercles du pouvoir politique, Pierre Lajoie démontre, photographies à l’appui, qu’il côtoyait alors les grands de ce monde : Bourassa, Mulroney, Trudeau… Il n’aura eu que plus de mérite à quitter le sérail et à se réorienter vers l’entreprise privée. Il y réussit d’ailleurs pendant une quinzaine d’années jusqu’à ce que, tonnerre dans un ciel pur, il fasse l’objet d’une enquête policière en règle. Des sommes appréciables ont disparu. Pierre Lajoie se déclare innocent de tout et victime de noirs complots. Des années plus tard, à bout de souffle et de ressources financières, il plaidera coupable à deux chefs d’accusation, non pas, répète-t-il, parce qu’il mérite quelque blâme que ce soit, mais pour en finir. C’est alors que le bouquin devient, avec une belle vitalité, un pamphlet contre les mensonges et les parodies de la justice officielle.
L’auteur, pour des motifs qui lui appartiennent, ne raconte jamais ses démêlés d’un seul trait. La condamnation tombe, puis on saute aux premières étapes de sa carrière. On aura droit à une autre tranche de la saga judiciaire plusieurs chapitres plus loin, avant d’être confronté aux idées qu’entretient Pierre Lajoie à propos du développement régional. Et ainsi de suite dans le désordre, au risque de percevoir le récit comme une succession d’esquives. L’auteur, en effet, coupe court aux explications et passe à autre chose.
La fougue est admirable et l’écriture se laisse souvent porter par de superbes colères. Par contre, les convictions de Pierre Lajoie versent si vite et si souvent dans le simplisme antisyndical, dans l’euphorie néolibérale, dans un élitisme primaire qu’on se demande si cet homme effervescent et éminemment créateur n’a pas causé une part au moins de ses difficultés en adhérant trop spontanément à ses évidences. Il ne s’est méfié ni des autres ni de lui-même.