Faut-il imputer à la majesté du rythme universitaire le fait qu’il a fallu deux ans pour que parviennent au public les actes du séminaire Fernand-Dumont consacré en 2001 à « l’antilibéralisme au Québec pendant le XXe siècle » ? Je ne sais. Réjouissons-nous en tout cas que ce soit chose faite et assez réussie. Le contraire aurait été étonnant, car le calibre des invités garantissait la pertinence et l’élévation des propos : Michel Freitag, Gilles Gagné, Jean-Jacques Simard, Gilles Bibeau, Daniel Jacques et consorts appartiennent d’emblée, en effet, au noyau le plus riche de la réflexion québécoise.
Même en face de certitudes presque blindées, les échanges ont d’ailleurs permis de rétablir les droits du doute et même ceux des nuances. Est-il si assuré, par exemple, que le Crédit social ait été en milieu québécois une force entièrement de droite ? Le courant marxiste qui a séduit les intellectuels québécois pendant un temps s’est-il résorbé en raison de l’évolution mondiale ou parce qu’il n’avait jamais correspondu à un authentique questionnement québécois ? Le totalitarisme s’est-il réincarné en mouvements moins identifiables, mais plus dévastateurs encore ? Débats stimulants, fascinants, qui témoignent de l’indéniable pertinence des recherches conduites par les philosophes, les sociologues, les anthropologues…
Quelques interrogations toutefois peuvent s’ajouter sans contredire le moindrement l’appréciation qui précède. La première concerne la notion même d’antilibéralisme. Comme aucun texte antérieur aux actes ne la définit, les diverses analyses ne parlent pas toujours de la même chose. Peut-être, cependant, préférait-on cette liberté à un effort forcément aventureux pour circonscrire l’objectif. La deuxième, qui n’étonnera sans doute pas le monde universitaire, vise la tendance apparemment incontrôlable de chaque universitaire à reformuler sujets, mandats, thèmes selon sa discipline et même selon les spécificités de sa recherche personnelle. On découvre même, dans tel et tel cas, que le conférencier a modifié le titre de l’exposé qu’on lui a demandé de préparer. Aux responsables du séminaire de juger si les propos tenus se sont trop écartés du plan pourtant accueillant qu’ils avaient conçu. La troisième question porte sur la méthodologie suivie dans l’établissement de ces actes. Comme cela semble la coutume, on a permis aux participants de relire et de corriger leurs propos. La procédure se défend, car le discours oral traîne avec lui des scories qui n’ajoutent rien et enlaidissent beaucoup. Le problème naît lorsque la version écrite correspond non plus à ce qui s’est effectivement inséré dans le débat, mais à ce que le penseur a eu le temps et le loisir d’écrire par la suite. Il est difficile de croire, par exemple, que Michel Freitag a assené à son auditoire plus de soixante pages bien tassées. De tels débordements présentent plusieurs inconvénients, dont celui-ci, particulièrement grave : la suite du débat perd sa cohérence, car l’intervenant suivant ne peut évidemment pas réagir à une argumentation dont il n’a pas eu connaissance.
De tels séminaires sont si utiles que leurs mécanismes devraient être examinés de plus près.