Au début du XXe siècle, le séjour en France s’impose pour la jeunesse canadienne-française instruite comme un véritable rite de passage. Édouard Montpetit, Lionel Groulx, Jean Bruchési, Robert de Roquebrune, Philippe Panneton, Simone Routier, André Laurendeau, Alain Grandbois, Marcel Dugas, pour ne nommer que ces auteurs, ont tous laissé des témoignages de leurs excursions intellectuelles dans les milieux parisiens. Le journaliste et critique littéraire Jules Fournier ne fait pas exception à la règle. En 1910, il se rend « vers la belle France » à titre de correspondant pour le journal La Patrie. Pendant plus de deux mois, il va adresser au journal ses « Lettres de France ».
Plusieurs de ces lettres portent essentiellement sur la campagne électorale française d’avril 1910. Jules Fournier retranscrit des extraits de journaux des différents partis, commente les programmes électoraux, s’interroge sur « l’indifférence du peuple », livre ses impressions au sujet des affiches électorales, des « réunions politiques » auxquelles il assiste, des candidats qu’il rencontre, etc. Comme pour bon nombre de Canadiens français de l’époque, le voyage en France constitue pour Jules Fournier l’occasion de venir admirer in situ l’existence des vestiges qui témoignent de la réalité de ses connaissances et du fondement de sa culture française. Si le Paris touristique, avec ses monuments historiques bien connus, le laissent plutôt indifférent, en revanche la Normandie, en tant que « berceau de nos ancêtres », lui procure une émotion rare : « celle de retrouver, à douze cents lieues de mon pays, les figures, les expressions, l’accent de ‘cheu nous’ ». Dans le sud de la France, Jules Fournier éprouve l’impression de voyager « comme ce personnage du fantaisiste anglais H.G. Wells, non pas dans l’espace, mais bien dans le temps ». C’est qu’à « Orange, à Nîmes, à Fréjus, À Vienne (Isère), à Saint-Rémy, à dix autres endroits, vous ne pouvez faire deux pas sans vous heurter aux ruines magnifiques de l’occupation romaine ». Enfin, ses lettres sont aussi l’occasion de rappeler ses rencontres avec des auteurs qu’il admire, comme le journaliste Henri Rochefort et le poète Mistral, et d’évoquer dans le Midi « la prose ensoleillée de Daudet ».