Le titre a fait grincer bien des dents. Coifferait-il le bouquin d’un « gentil » qu’il aurait été ressenti comme une agression antisémite. Jean Daniel, même s’il a opté pour un titre courageusement affirmatif, n’a pourtant négligé aucune nuance : c’est sur le ton de l’amitié et de l’empathie culturelle, mais pas religieuse, qu’il demande au peuple élu de choisir entre les devoirs de l’Alliance et les avantages du pouvoir militaire et politique. Il s’étonne qu’on abandonne « sans sourciller le domaine du politique pour chercher au Ciel des raisons de continuer à s’affronter ». De même, en inversant la démarche, il souligne qu’en préconisant « le retour à Sion, ils [les juifs] devenaient infidèles à l’injonction de n’être que des prêtres et des témoins ». De deux choses l’une, selon Jean Daniel : le peuple juif ne peut se targuer de l’Élection divine qu’à des fins étroitement spirituelles. Brandir les textes considérés comme sacrés pour justifier des conquêtes territoriales, c’est trahir le message : Israël n’est « autre » que s’il se voue à la sainteté et au témoignage. On ne sort de cette prison spirituelle qu’en rejetant ce que Sartre considérait comme « le décret d’une fatalité d’héritage et de comportement ».
Sujet délicat entre tous et d’autant mieux choisi, réflexion empreinte de noblesse, recherche attentive et sans orgueil, langue mesurée et prudemment classique, autant de qualités admirables. Jean Daniel ne descend pas des sommets et s’abstient de rattacher ou d’opposer sa lecture de l’Alliance et les comportements de l’Israël d’Ariel Sharon. Le lecteur y aurait satisfait sa soif de verdicts, mais la réflexion aurait perdu de l’altitude. Le sous-entendu affleure quand même sous le respectueux questionnement : « […] depuis l’apparition d’un État hébreu souverain, les Juifs, et plus précisément les Israéliens, sont entièrement responsables de leurs gestes. Ils ne dépendent que de leur volonté et de leur idéal ». À eux de décider s’ils optent pour un parcours balisé par des valeurs humaines universelles ou pour une Alliance religieuse qui exige d’eux l’élévation morale du saint ou du témoin.