La biographie, telle que la pratique Jacques Côté, n’est certes pas astreinte à la sécheresse ou à l’ennui. Dès le seuil du livre, le lecteur est emporté : cet étrange curé a-t-il tué son demi-frère ? Pour recenser les hypothèses et parvenir à une certitude, bien des savoirs seront mis à contribution, depuis la balistique jusqu’à la graphologie. C’est par cette voie royale de l’énigme que Wilfrid Derome entre dans le récit et que Jacques Côté nous renseigne sur le personnage, sur ses études, ses méthodes, ses acharnements. D’un crime à l’autre, Derome raffinera ses techniques, convaincra son entourage de mieux préserver les scènes de crime de toute « contamination », apprendra lui-même l’art de survivre aux interrogatoires judiciaires. Il ne se résignera jamais, toutefois, à ce que les tribunaux préfèrent leurs conclusions aux siennes…
Jacques Côté raconte Wilfrid Derome avec une rigueur qu’aurait sans doute appréciée Derome lui-même. Les instruments sont dûment identifiés, les chercheurs et leurs découvertes reçoivent leur dû, médias et personnalités politiques sont cités à profusion, les juges et les plaideurs sont, pour le meilleur comme pour le pire, aisément reconnaissables. Mais la rigueur, grâce au choix de l’auteur, ne ralentit pas le mouvement. Les drames humains et les énigmes criminelles ponctuent et relancent la biographie : Aurore l’enfant martyre, Blanche Garneau, l’abbé Delorme, autant d’occasions de décrire Derome en pleine action et de manifester son influence sur son époque. Du curriculum de Wilfrid Derome, on saura l’essentiel : un parcours presque banal au stade de l’adolescence, la subite éclosion de la curiosité scientifique, les études auprès de sommités européennes… De sa vie familiale, on obtiendra une version discrète et presque pudique. Jacques Côté stylise, ignore les tentations du voyeurisme, se concentre sur le travail professionnel. Le résultat est merveilleux d’élégance.