Écrivain brésilien dont on dit grand bien, Moacyr Scliar entre pourtant dans mon univers littéraire par la petite porte. On a prétendu, litige que je ne puis trancher, que son Max et les félins, paru en 1991, avait titillé l’imaginaire d’Yann Martel au point de lancer celui-ci à l’assaut (victorieux) du Prix Booker. Que le scandale, si c’en est un, soit remercié de nous avoir rappelé Moacyr Scliar, son importante production en portugais et ses peu nombreuses œuvres traduites en français.
Peut-on, sur la base de Max et les félins, hisser Moacyr Scliar au niveau des très grands ? L’extrapolation me paraîtrait téméraire. La fable est agréable, mais plutôt mince et quelque peu méandreuse, du moins en apparence. D’une part, les liens sont plutôt distendus entre le tigre naturalisé qui terrifie Max enfant dans la boutique de son père, le jaguar avec lequel il partage un canot de sauvetage et le chat qui, rejoignant Max dans son exil brésilien, miaule ses amours et provoque ses insomnies. D’autre part, les félins se font plus discrets à mesure que Max avance en âge, si discrets que le héros cuvera sa vieillesse dans l’élevage de chats de race tous bien obéissants.
Protégé par les humbles péripéties de son allégorie, Moacyr Scliar invite peut-être son lecteur à des relectures d’un autre ordre, mais, en fabuliste différent de La Fontaine, il se dispense des morales qui auraient pu nous guider. Le nazisme, de bout en bout, traverse ce destin. La trilogie qu’affectionne Freud semble s’incarner en personnages extérieurs à Max, mais Ego, Id et Superego sont si proches de lui qu’il ne peut peut-être pas s’en distinguer. Au lecteur de décider s’il s’en tient à une fable originale et gentille ou s’il s’aventure dans d’imprévisibles profondeurs.