Né à la Baie-du-Febvre (Yamaska) en 1862 et décédé dans le Rhode Island en 1906, Edmond Boisvert est surtout connu comme l’auteur de L’avenir du peuple canadien-français(1896) et de L’âme américaine(1900), deux essais publiés à Paris sous le pseudonyme qu’il adopta dès 1884 : Edmond de Nevers. Polyglotte, traducteur, avocat et publiciste, l’essayiste fut aussi journaliste et il fit paraître dans La Presse de Montréal, du 5 juillet 1888 au 28 mars 1891, une série de 22 « lettres » écrites en Allemagne, en Autriche et en Italie, soit au début d’un séjour européen qui allait se prolonger presque sans interruption jusqu’en 1900. Le professeur Hans-Jürgen Lüsebrink, de l’Université de Saarbrücken (Allemagne), établit, présente et annote ces lettres qui sont aujourd’hui publiées pour la première fois sous forme de livre.
C’est un regard avisé, critique et lucide que le journaliste québécois jette sur les réalités berlinoises, viennoises et romaines dont il rend compte. Ses considérations ethnologiques, sociologiques, culturelles et politiques surprennent par leur pondération : nul enthousiasme juvénile ni dénigrement abusif n’embarrassent sa plume, qui demeure en général simple et correcte. Edmond de Nevers trace avec une sobriété et une justesse cautionnées par Lüsebrink la marche de l’Allemagne impériale vers le nationalisme, le militarisme et l’antisémitisme, et dégage à plusieurs reprises ses différences avec la France, sa voisine et sa rivale. Sans renier ses origines canadiennes, il fait des rapprochements éclairés et des distinctions toutes pertinentes et convaincantes.
On constatera sans doute par ailleurs certains écarts entre les citations du présentateur et le texte publié des Lettres : au lieu de « je ne veux pas faire part de mes observations », on doit lire en réalité « je ne veux que vous faire part de mes observations ». Dans l’ensemble, cependant, le travail d’édition de Lüsebrink est abondant et remarquable de précision. Une introduction documentée place bien en perspective celui qui est considéré à juste titre comme « l’une des figures à la fois les plus fascinantes, les plus singulières et les plus contradictoires de l’histoire littéraire et culturelle du Canada francophone ». Edmond de Nevers, dit encore Lüsebrink, fut « le premier intellectuel canadien-français […] à s’intéresser à l’Allemagne » et « à diffuser son expérience de la société allemande et du monde germanique ».