Voici brièvement résumée la légende de Phryné : au IVe siècle avant notre ère, une courtisane doit comparaître devant l’assemblée des juges qui lui reprochent son mode de vie impudique. Au moment d’apparaître devant les vieillards représentant l’ordre, Phryné est subitement dénudée. Éblouis par l’incroyable beauté de la jeune femme, les juges cois renoncent à la condamner et deviennent indulgents envers celle-ci.
L’image éloquente de Phryné, symbole d’une beauté parfaite, offerte en guise de plaidoyer silencieux, a fait l’objet de plusieurs œuvres d’art ; Bernard Vouilloux étudie d’une manière exhaustive l’évolution de la représentation de la beauté féminine au fil des siècles en prenant pour modèle celui de la mythique Phryné. Son dévoilement inespéré constitue un choc : c’est à la fois un spectacle sans parole, un jeu de regards, un mélange d’audace et de honte qui s’organisent, comme dans la célèbre toile de Jean-Léon Gérôme qui occupe la couverture de l’ouvrage (Phryné devant l’aéropage, 1861).
Empruntant à l’histoire, à la littérature (de Jean-Jacques Rousseau à Charles Baudelaire), à la sémiologie, à la psychanalyse et à l’histoire de l’art, les chapitres abordent les questions de dévoilement, de pudeur dans l’art, des limites de l’obscénité, dont les normes ont considérablement varié. Ces analyses approfondies portent à la fois sur les récits et les œuvres picturales. L’auteur fait preuve pour son dixième livre d’une documentation impressionnante ; son étude magistrale constitue à mes yeux un modèle du genre, comme on en voit trop peu. L’ouvrage Le tableau vivant de Bernard Vouilloux est certainement le plus beau livre d’esthétique que nous ayons reçu cette année.