Présenté comme « la biographie la plus complète de Philippe Aubert de Gaspé » (quatrième page de couverture), le récent ouvrage de Louis Lasnier dépasse de loin ce simple programme. Les noces chymiques de Philippe Aubert de Gaspé dans L’influence d’un livre se veut davantage qu’un simple coup d’œil sur la vie publique et intime du premier romancier québécois. Le titre de l’étude est d’ailleurs évocateur du ton que l’auteur entend donner à son travail, la question de l’alchimie étant au cœur de l’analyse. Il affiche ses intentions sans détour dès les premières pages : « Les noces chymiques de Philippe Aubert de Gaspé ajoute à la psychobiographie une psychocritique de l’œuvre qui tient compte du milieu sociohistorique et socioculturel, psychocritique plus pressée de dégager d’abord les faits, les événements, que d’interpréter ». Étude d’ensemble du premier roman québécois, le livre de Louis Lasnier opte pour un éclectisme qui, quelque peu déroutant au premier abord – de nombreuses digressions ainsi que quelques longueurs témoignent d’un ton un tantinet académique qui déplaira au lecteur non spécialiste -, permet au chercheur de prendre la mesure d’une œuvre au demeurant plutôt hermétique.
L’ouvrage se segmente en trois chapitres de longueur quasi égale. Le premier concerne le pan purement biographique : on y découvre les origines de la famille de Gaspé (son déchirement entre ses racines anglo-saxonnes et françaises) ainsi qu’un compte rendu des frasques de Philippe Aubert fils. Le recours à la psychologie analytique jungienne permet de cerner, selon Louis Lasnier, les raisons qui ont conduit à l’écriture de L’influence d’un livre, le jeune de Gaspé cherchant en quelque sorte à régler ses comptes avec certains membres du parti Patriote, qui lui ont fait affront. Le deuxième chapitre est consacré à la facture du roman : le contexte de création et la réception de l’œuvre tout autant que son contenu sont traités en profondeur, question de montrer en quoi le roman s’inscrit dans une entreprise de mise en question des valeurs ambiantes. L’application au roman du parallèle établi entre l’alchimie et le processus d’individuation viendra conclure, dans un troisième chapitre fort étoffé, une réflexion qui aura permis de constater que le parcours du jeune auteur canadien-français se déploie à la manière de celui de l’alchimiste préparant vaille que vaille le Grand œuvre. « L’alchimie fournit la définition des étapes qui nous permettent de retracer les mutations ou transformations des personnages », d’écrire l’auteur pour expliquer le bien-fondé de son travail. Nigredo (œuvre au noir ou division des éléments) et albedo (œuvre au blanc ou reconstruction) auront conduit non seulement Amand et Saint-Céran, personnages du roman, mais aussi de Gaspé fils lui-même, vers une rubedo latente (l’œuvre au rouge, la pierre philosophale).
Tout compte fait, bien que le lien ne soit pas toujours évident entre les diverses méthodes d’analyse (tantôt la psychocritique, tantôt la sociocritique, voire, çà et là, la mythocritique, sans toutefois que ces deux dernières soient jamais mentionnées), le produit final s’avère convaincant et il est à souhaiter que cette démarche acquière les lettres de noblesse qu’elle mérite.