Michèle Lagny figure parmi les grands spécialistes des théories du cinéma en France, avec Jacques Aumont et Pierre Sorlin. Elle avait publié il y a dix ans le meilleur ouvrage en français sur les études cinématographiques, De l’histoire du cinéma, Méthode historique et histoire du cinéma (A. Colin, 1992). Elle consacre son plus récent livre au grand réalisateur Luchino Visconti, précurseur du néoréalisme italien, à qui l’on doit les plus beaux films des années 1970 comme Mort à Venise (d’après le roman de Thomas Mann), Ludwig (sur la vie du roi Louis II de Bavière) et Violence et passion.
Dans la première moitié de ce livre, les 14 longs métrages de Luchino Visconti sont étudiés du point de vue esthétique, symbolique, thématique ; s’ajoute un rappel de la réception critique de chaque film. La deuxième moitié contient des textes écrits par le réalisateur, des extraits d’entretiens, des témoignages de ses proches, des critiques de ses films, ainsi que des documents de travail, dont un découpage technique du film Ludwig ou le crépuscule des dieux, avec des croquis. L’ouvrage met aussi en évidence la dimension politique de nombreux films de ce cinéaste engagé, dont certains, bien qu’artistiquement inégalés, sont aujourd’hui trop rarement diffusés. « Oui, je suis un décadent », déclarait-il dans un entretien, à la fin de sa vie, pour définir le raffinement avec lequel il se plaisait à raconter la décomposition des empires et la chute des grands hommes.
Cette monographie soignée de Michèle Lagny constitue certainement la plus complète introduction à l’univers du grand Luchino Visconti. On ne peut que se réjouir de l’initiative à l’origine de la collection « Ciné-regards », qui reprend sous une forme plus élaborée et savante une formule créée dans les années 1960 par les éditions Seghers (les 80 petits livres carrés de « Cinéma d’aujourd’hui »). Il faut maintenant espérer revoir en DVD les classiques de Luchino Visconti comme Rocco et ses frères et son adaptation de L’étranger d’Albert Camus.