Pas fréquent qu’un banquier parle de révolutions. Les gens de la profession ont l’habitude de les fuir comme la peste. Pas Matthieu Pigasse, une vedette du monde des affaires français, codirecteur général de la banque Lazard France et ex-administrateur civil, en particulier au ministère français de l’Économie et des Finances ainsi qu’à la Direction du Trésor. Propriétaire de l’hebdomadaire Les Inrockuptibles et actionnaire du journal Le Monde, ce membre influent du Parti socialiste défend l’idée d’une Europe forte qui refuse de se laisser marginaliser par les nouvelles dynamiques économiques et financières. L’intérêt de son ouvrage tient à la vigueur des analyses de la catastrophique situation économique européenne, même si une des premières phrases laisse songeur en ce qu’elle dénote une curieuse nostalgie : la révolution en cours depuis dix ans aurait vu « les dominés d’hier devenir les dominants, les anciennes puissances colonisatrices perdre le pouvoir au profit des anciens pays colonisés ». Bien sûr, l’Europe ne domine plus le monde et les atermoiements mélancoliques ne seront d’aucune efficace pour sortir du marasme. Pourtant, contrairement à ce que soutient Pigasse, la crise du surendettement n’est pas que le fait de l’Europe, elle sévit en Amérique du Nord et guette les pays ironiquement qualifiés d’émergents, comme le Brésil, l’Inde, la Chine.
Très instructif parce qu’il rappelle plusieurs faits bruts (de 1975 à 2006, 71 États ont connu la faillite et dans l’histoire, seuls quelques rares pays – dont le Canada – ne l’ont jamais connu), éclairant les déboires de la Grèce et de l’Irlande tout comme ceux de l’Europe tout en reconnaissant, contrairement aux collègues néolibéraux de l’auteur, les impacts réels de la montée des inégalités, de la précarité et de la pauvreté, Révolutions n’a toutefois rien de très nietzschéen, malgré ce qu’il prétend. Si Pigasse appelle à un renversement des valeurs et à une destruction des conservatismes et des corporatismes, il n’interroge jamais la sacro-sainte idée de la croissance, comme si elle constituait la panacée. S’il paraphrase Freud en parlant d’un « malaise dans la civilisation ‘européenne’ », il oublie le jeu des pulsions lorsqu’il mise sur la nécessité du risque et la progression infinie. La grande rupture est-elle évitable ? Bien malin qui pourrait le prédire. Mais si l’urgence est de « rétablir l’utopie », encore faudrait-il qu’elle favorise l’humanité dans son ensemble et non simplement les oligarques.