De par sa rigueur, sa minutie, le caractère implacable de la démonstration, l’analyse de Christian Milat méritait d’appartenir à la prestigieuse collection « Voix savantes » créée et alimentée par deux maisons d’édition. À condition de conserver en mémoire l’avertissement nettement signifié par l’universitaire, la distinction entre l’alchimiste et l’écrivain alchimiste, Alain Robbe-Grillet n’échappera jamais plus à l’interprétation qui est ici offerte de ses dix romans. L’alchimie leur donne sens. Les innombrables transmutations qui séduisent ou déroutent dans cette œuvre respectent, en effet, ses règles. Comme le veut l’alchimie, toute réalité est duelle dans le roman tel que le crée Robbe-Grillet. L’homme primordial était androgyne ; il le redevient. Les décors, tous réductibles à une chambre, déploient un espace unique. Le temps est lui aussi frappé de transmutation et perd sa fonction d’ordonnance. Les divers personnages incarnent les états de conscience d’une entité unique et omniprésente. L’alchimie, clé proposée par Christian Milat, permet une lecture organisée et peu contestable d’un type de roman qui a fait couler beaucoup d’encre et suscité bien des querelles.
On ne saurait cependant dissimuler au lecteur que cette analyse ne se lit pas aisément. D’heureux paragraphes synthétiques interviennent, il est vrai, au tournant des étapes, mais c’est après un mitraillage de notes, d’allusions, d’insertions qui convaincra le spécialiste et épuisera le lecteur moyen. Aucune fluidité n’est possible quand les guillemets s’additionnent sans arrêt, quand l’imposante bibliographie d’une quarantaine de pages fait partout sentir sa présence. Travail remarquable de méticulosité qui, espérons-le, sera relayée selon une autre pédagogie soit par l’auteur lui-même soit par quelqu’un d’autre, de manière à rejoindre les auditoires qu’il mérite.