Éric Meyer, journaliste installé à Pékin depuis quinze ans, présente ici l’image d’une Chine à l’orée d’une fabuleuse réussite industrielle et commerciale, mais aussi menacée d’une catastrophe écologique et sociale sans précédent.
Trop préoccupée à maintenir son carcan idéologique (vidé de son sens depuis longtemps), la direction chinoise a perdu toute crédibilité au sein de la population qu’elle invite à s’enrichir, sans lui offrir aucun fondement moral ou intellectuel, après la débâcle provoquée par « la Révolution culturelle » de Mao.
Telles sont les conclusions qui découlent d’une synthèse audacieuse et alarmante de la situation politique et sociale en Chine depuis le massacre de Tian’anmen. Selon Eric Meyer, on assiste à un enfermement des instances dirigeantes dans une unanimité artificielle face à l’indifférence dédaigneuse de la population abandonnée à elle-même. Les orientations gouvernementales varient au gré des courants mondiaux alors que le régime lui-même paraît trembler sur sa base.
Dans cet immense pays de plus d’un milliard d’habitants, les problèmes atteignent des proportions incommensurables. Népotisme généralisé, retour en force des gangs criminels, augmentation catastrophique des cas de sida, taux inquiétant de suicides chez les femmes et les jeunes en mal d’identité, niveau effarant de pollution dans les grandes villes, rareté de l’eau malgré les grands fleuves au niveau mal contrôlé, surmenage des enseignants dont plus de la moitié dans certaines régions souffriraient de troubles mentaux ; stress et dépression généralisés dans cette nouvelle course à l’enrichissement qui est la seule façon d’échapper à un encerclement politico-policier fermé à tout dialogue social.
Voilà le tableau peu reluisant de ce pays qui continue à se méfier de l’étranger et qui a du mal, dit l’auteur, à se définir autrement qu’en termes ethniques, comme une grande famille repliée sur elle-même.
Pourtant, et c’est la grande ambiguïté de la Chine, le pays connaît une effervescence extraordinaire à la veille des Jeux olympiques de Pékin. Des villes comme Shanghai et Chongquing, parmi les plus grandes au monde, se développent à une vitesse stupéfiante. Une minorité de jeunes paraissent pratiquer une forme de résistance clandestine qui pourrait être le premier signe encore bien discret de l’effondrement du régime, à l’exemple de l’URSS.
Il faut avouer qu’après avoir lu le livre d’Éric Meyer on reste perplexe devant la grande énigme que représente la Chine actuelle, véritable dragon mystérieux et ambivalent au cœur de l’Asie.