Critiquant le caractère idéologique de la phénoménologie et de l’herméneutique fondant l’espace fantasmatique de la psychiatrie clinique ‘ laquelle se garde bien, plus souvent qu’autrement, d’interroger le statut de son interprétation, de son voyeurisme ou de sa prétendue omnipotence ‘, certains représentants de la psychothérapie institutionnelle française ont depuis plusieurs années travaillé à montrer que la logique rhizomatique préconisée par Gilles Deleuze et Felix Guattari permet au thérapeute de sortir du modèle des fonctions imaginaires du même pour s’ouvrir à la différence, à l’invention et à la « surprise ». Ce mot me plaît, quoi qu’il faille ici ne pas le confondre avec celui d’« étonnement » (si bien abordé par Octave Mannoni), ainsi que l’observe finement Patrick Cady, l’un des auteurs du présent recueil.
Cela dit, l’étonnement que mettent en figure les participants à ce collectif fait inévitablement signe, qu’il s’entende comme surprise ou comme ébranlement psychique, voire comme dissociation ou fragmentation, vers l’inespéré et l’inattendu, sorte d’état affectif si essentiel au processus de la cure qu’Anne Levallois n’hésite pas à affirmer dans son texte que le transfert suppose de la part du thérapeute une « disposition à l’étonnement ». C’est ainsi que l’analyste, éternel(le) Alice, (ré-)apprend l’enfant en lui. Du même coup surgit la stupéfaction de l’ennui : s’il faut apprendre à être étonné par l’analysant, interrompu par lui ou elle dans sa neutralité fictive ou sa banalité (parfois même son sommeil…), c’est parce que les pulsions rodent, menaçant sans cesse la sécurité de base que tout un chacun se construit tant bien que mal. Que l’on fasse de l’étonnement une « sensation intellectuelle » (Martine Dionne) ou « un moment d’apparition de soi à soi confronté à une situation nouvelle » (Jacqueline Rousseau-Dujardin), une émotion nécessaire au développement de notre vie psychique (Mireille Fognini) ou un pouvoir de provocation (Normand Chabot), qu’on le rapproche encore de la curiosité (Mareike Wolf) ou qu’on parle même du méta-étonnement de Freud (Catherine Mavrikakis), il reste, ainsi que le démontre Michelle Cadoret, que l’étonnement par excellence est celui qui surgit des effets d’inconscient et de vérité et que, parmi eux, ceux du choc pubertaire (Jean-François Chiantaretto) et de tous les affects vécus par le corps (Louise Grenier, Éloïse Ungaro) ou le sujet (Ginette Michaud), n’en finissent pas d’interrompre le supposé su.
Bref, sans toujours éblouir, cet ouvrage tissé d’expériences vivantes invite à une réflexion mesurée sur notre perception de la loi et de la force des choses.