« C’était par une belle journée d’automne de la fin des années trente », le ton est mélodieux, le talent narratif court comme l’archet sur les cordes. Ce livre est une belle histoire. Ou plutôt un conte d’une rare pureté, imprégné d’une sagesse immémoriale, forcément vraie. L’artiste Selma Lagerlöf sait si bien nous rendre heureux. La vie est dure, et elle, plus que quiconque le sait, quand un matin, alors qu’elle venait d’avoir quatre ans, elle se réveilla paralysée des deux jambes. La vie est, aussi, un legs compliqué mais si merveilleux. Et elle le sait également, cette Suédoise, prix Nobel de littérature en 1909. C’est peut-être pourquoi chacune de ses créations est empreinte de cette douceur et de cette mansuétude particulières chez les êtres au destin bancal, les écartés, par quelques infirmités de parcours, du chemin droit des conventions sociales.
Il y a beaucoup de Selma dans les deux protagonistes de ce conte moderne. Elle est Gunnar Hede le violoniste, éperdu d’amour, arrachant à son instrument les sons magnifiés du manque, colporteur sillonnant la région de la Dalécarlie, une hotte sur le dos, comme elle est l’écrivaine de stature internationale faisant vagabonder ses mots issus d’un pays de légendes et d’histoires anciennes. Elle est, forcément et férocement, Ingrid, la jeune fille malheureuse de n’être pas aimée, qui croit ne pas avoir, par conséquent, le droit de vivre. Elle est la force de la vie qui jaillit du fond de son tombeau. Ingrid et Selma conjurent chacune le sort en se nourrissant d’une imagination pleine de poésie, de rêves imprégnés de douceur. Mais elles savent être combattantes et pugnaces lorsqu’il est question d’aimer l’être consacré. De le sauver.
L’archet vole sur nos cordes sensibles, et il nous dit que par une belle journée de début de l’année 2002, l’amour est fort. Et, somme toute, que la vie est belle.