Pour annoncer la parution d’André Malraux, une vie, on voulut présenter le travail d’Olivier Todd comme une entreprise de déconstruction d’un homme-mythe ; un effet d’annonce, disons-le tout de go, qui ne remplit pas toutes ses promesses. Le titre lui-même aurait mérité un pluriel : ce n’est pas d’une vie mais des vies d’André Malraux dont il est ici question – car il fut l’archétype d’une personnalité protéiforme. Et cette biographie, en vérité, ne déboulonne absolument pas la statue. Plutôt, (est-ce voulu ?), elle l’humanise.
Certes, Malraux a sculpté Malraux et l’opacité de certains épisodes de sa vie ne contribue pas à le rendre gracieux. Mais n’y a-t-il pas toujours quelque imposture chez ceux qui, rêvant de gloire, ont habilement serti leur vie d’un soupçon de légende ? N’écrit-il pas lui-même dans La voie royale que « tout aventurier est né d’un mythomane » ? D. H. Lawrence, avant lui, avait cru devoir en rajouter dans une existence qui, de facto, était déjà fabuleuse. Résumons : le génie de la séduction fut aussi l’apôtre de l’autoproclamation. André Malraux réécrivit l’histoire dans Antimémoires mais inventa la sienne propre, s’attribuant des exploits imaginaires, « bricolant » à l’occasion son dossier militaire alors qu’il avait, pour vrai, commandé la brigade Alsace-Lorraine en 1944… Une vraie noblesse de caractère, une loyauté en amitié sans faille, un courage authentique, et aussi des mensonges, des indélicatesses, des « prélèvements » de statues khmères au Cambodge.
Auteur de La condition humaine, de L’espoir, des Conquérants, des Antimémoires, des Chênes qu’on abat, il initia une politique culturelle en France, ressuscita l’usage des oraisons funèbres, fut l’ambassadeur de De Gaulle (davantage que du gaullisme…) à l’étranger, défendit les Paravents de Jean Genet à l’Assemblée nationale… Il fut ainsi plusieurs hommes à la fois, « un tiers génial, un tiers faux, un tiers incompréhensible » selon les mots de son ami Raymond Aron.
Olivier Todd ne signe pas là une hagiographie – qui songera à l’en blâmer – et de toute évidence, n’aime pas beaucoup André Malraux – qui pourrait le lui reprocher ? Libre à chacun d’exercer son sens critique quand la critique est fondée, à tout le moins établie. Or cette biographie, si documentée soit-elle, s’apparente à une entreprise de clabaudage un peu trop systématique, truffée de formules à l’emporte-pièce qui finissent par rendre la lecture vraiment pénible. Le ton est vaguement condescendant, parfois même franchement méprisant, le propos est volontiers réducteur : André Malraux crée le ministère des Affaires culturelles en 1959, qu’il « veut original et souverain » ; sur son action de ministre d’État, qui a tout de même duré dix ans, Olivier Todd se contente d’écrire : « il définira les axes de sa politique : amorce de régionalisation, inventaire des richesses de la France, lois-programmes pour la restauration des monuments anciens, statut des artistes, mise en place d’une politique musicale en France et, surtout, les maisons de la culture »…
Signalons ainsi la parution d’excellents ouvrages consacrés à André Malraux dans le cadre du centenaire de sa naissance : Flammarion propose une réédition de la biographie de Curtis Cate, Malraux (1984) ; Jean-Claude Larrat relate le parcours artistique d’André Malraux (Le Livre de poche) ; Henri Godard réunit des témoignages de proches dans L’amitié André Malraux (Gallimard). Aux grands hommes, la patrie reconnaissante !