Selon les époques et les civilisations, la mort s’habille de valeurs et de désirs tout différents. Chez les bouddhistes par exemple, elle participe de la dynamique même de la vie. Sogyal Rinpoché le dit clairement : « La mort est un miroir dans lequel se reflète l’entière signification de la vie. » Dans cette perspective impliquant une préparation active et sereine à l’ultime rencontre, la mort n’est plus envisagée dans la peur et l’angoisse, mais comme un passage vers d’autres possibles.
Le livre que voici s’inscrit dans une autre perspective. Il s’agit, comme l’indique Jocelyne Légaré dans sa présentation, par la force combinée des textes et des images, de protester positivement contre la mort, le scandale qu’elle représente : « Jamais de la vie c’est à la fois un cri qui dit non et qui veut apprendre à dire oui à la vie, malgré toute la peine qu’elle charrie. » Nous est donc proposée une rencontre entre des artistes, des écrivains, des étudiants, des reporters, un psychanalyste, un médecin, un juriste, un anthropologue, un philosophe et surtout, surtout, des langages et des expériences de perte. Des mots aux personnes, des derniers soupirs aux longs halètements, c’est un manque qui à chaque fois trouve à parler à l’autre en soi dans le monde. Quand Nancy Huston raconte des funérailles, Catherine Mavrikakis joue de sa propre mort et Denis Hirson suit le sentier du jardin de son père alors que Holbein le Jeune croise Alfred Stieglitz. La séparation convoque le rendez-vous des larmes, des mémoires et, disons-le, des affects et des émotions les plus primaires, les plus primales. Pierres et rires retrouvent leurs droits inaliénables.
Moi qui suis, de par mon métier, très souvent en contact avec ceux qu’on appelle les mourants, je sais l’importance de l’humble et beau travail de Jocelyne Légaré et de ses acolytes. Il relève d’une compassion nécessaire dans nos sociétés où la mort, comme le toucher, sont déniés par la marchandisation. Au fond, on a beau pratiquer la mort, elle est chaque fois l’épreuve de l’impossible. Car la douleur qu’elle demande cache un cri inavouable, mais non coupable : celui du plaisir et de la jouissance de sentir dans son corps encore chaud le vivant.