Coton de traiter d’un livre douloureux avec détachement. Indécent même. Plus encore s’il nous le faut faire en quelques centaines de mots. À peine. Ce qui d’ailleurs explique (?) que le soussigné n’ait enfin donné naissance à sa progéniture de papier que six mois, huit mois, neuf mois… après tout le monde.
Mais j’aurais bien mauvaise grâce à me plaindre : Francis Simard et ses compagnons, eux, ne se sont pas contentés de rédiger des p’tits feuillets, bien au chaud, pour des périodiques littéraires qu’on lit confortablement blottis dans le plus douillet fauteuil du loft désemmuré. Eux, ils ont fait l’Histoire. Tantôt claustrés l’un sur l’autre plus de 24 heures dans la garde-robe trafiquée d’un appartement de Montréal, tantôt tout aussi recroquevillés sous la neige à Saint-Bonaventure en Mauricie. Tantôt surtout écrasés par l’angoisse dans cette maison du 5630 de la rue Armstrong, à Saint-Hubert PQ (Pays Québec), et dont ils se sont plus d’une fois convaincus, chacun à part soi, qu’elle constituerait leur propre tombeau. Tissée de rudes « anecdotes » parfois. L’Histoire.
Octobre. Il y a les Québécois qui n’en connaissent presque rien, et qui s’en accommodent fort bien. Il y a ceux qui n’en veulent rien savoir, et dont la minceur de la conscience politique résiduelle ne leur permet même plus d’en éprouver à l’occasion quelque mauvaise. Il y a ceux qui croient savoir parce qu’ils se souviennent d’un vague commentaire – tel une tumeur agglutinée au tissu cérébral de la mémoire (ou de l’intelligence, on ne sait plus) – entendu autrefois de la bouche d’un Jérôme Choquette, d’un Jean Drapeau ou d’un Pierre Elliott…
Enfin, il y a ceux qui ont oublié. Les plus insolents. Car le désintéressé, qui se dit volontiers le plus ouvert de tous (et notamment au revers de sa propre veste, de temps en temps), ne sait toujours pas qu’il manie une arme plus cruelle que le plus intéressé par soi des intéressés d’eux-mêmes. Il ne se contente pas en effet de nier, de détourner, de falsifier ou de contrefaire – gestes en soi positifs, tangibles, qui balisent la lumière vers l’objet par volonté d’obscurité même. Nenni. Le désintéressé, c’est l’odieux thaumaturge qui crée l’inexistence même. Dans l’Suf, dès le germe, il terrasse l’évolution et tout progrès. Il assassine par abstention, voire tout platement par snobisme, l’embellie possible de tous les mondes – qu’il enjambe telles de nauséeuses flaques d’huile usée. Par le temps. Qui n’existe pas. Non plus. Bien sûr.
L’histoire du Front de Libération du Québec(FLQ), donc, et en particulier celle de la « Cellule Chénier » telle que vécue et saisie de l’intérieur par l’un de ses acteurs les plus hardis. « Cet homme-là ne regrette rien. Il ne s’excuse pas. Il refuse de demander pardon. Mais il ne fait pas le fier non plus. Il assume tout. Tout. Le meilleur comme le pire. Et il porte tout sur ses épaules, sans jamais se plaindre à personne. » Ainsi s’exprime Pierre Falardeau, avec vérité, en préface à la réédition (à la faveur du trentième anniversaire desdits « événements ») de ce volume d’abord paru en
Débarrasse-toi sur l’heure de mes encres sèches et verbeuses, nuitblanchiste. Et va illico au texte. Au vrai. Et je te défie, toi, citoyen digne de ce nom, de ne pas entendre dans ces pages, tout en un comme fiat a cappella, les trémolos de tes aïeux, de tes enfants pas encore et de ta conscience un rien caponne.
Un dernier mot, auparavant. Je ne crois pas, avec Simard, qu’il faille clore ce dossier. Pour en finir avec Octobre, il faudra d’abord en finir avec tous les janvier sous zéro qui ont conduit à lui. En finir avec toutes ces MTS, ces maladies transmises socialement qui perdurent et s’incrustent opiniâtrement depuis lors. Comme si de presque rien n’avait été.