Après quinze ans consacrés à l’écriture des dix volumes qui constituent son unique et « interminable bouquin » , Une autobiographie américaine, l’écrivain Dany Laferrière considère qu’il n’a plus rien à dire et que ce petit livre sera le dernier ; juste pour dire, qu’il n’écrira plus : « Voilà, je décide, aujourd’hui, que je suis fatigué [ ] Fatigué de gratter du papier. Fatigué de barboter dans l’encre. Fatigué aussi de regarder la vie à travers la feuille de papier. Fatigué aussi de me faire traiter de tous les noms : écrivain caraïbéen, écrivain ethnique, écrivain de l’exil. Jamais écrivain tout court. ».
Je suis fatigué – un livre de commande, offert à son éditeur et au groupement de libraires Initiales, à condition qu’il ne soit pas vendu – est un peu la feuille de route de l’auteur, de zéro à quarante-sept ans, d’Haïti où il est né à Montréal où il deviendra écrivain. On hésite à qualifier cette œuvre qui tient à la fois de la fiction et du récit autobiographique.
Sans chercher à mettre un ordre dans ses souvenirs, et tout en ayant le sentiment d’avoir déjà tout raconté, Dany Larerrière revient sur les odeurs, les mots, les femmes de sa vie, les livres et les libraires, les voyages et les pays, les objets, les rencontres qui l’ont façonné. Le récit de son enfance à Port-au-Prince (Haïti), de son départ à Petit Goâve (Haïti), où il apprendra à parler créole, découvrira la recette magique de sa grand-mère Da et le plaisir de la lecture avec son grand-père, est particulièrement attachant. Mais les passages où il dénonce avec sérieux et humour la question de l’identité, du métissage ou du colonialisme, comme autant de sujets imposés par l’Europe aux intellectuels du tiers-monde, sont probablement les plus percutants. « Je n’entends parler de colonialisme que quand je suis invité dans un colloque en Europe. Alors là, on n’y coupe pas, et cela même si le sujet concerne la physique nucléaire.»
Parce qu’il nous parle de sa quête d’authenticité, de tendresse et de liberté, ce dernier petit livre de Dany Lafferière constitue, ultime pied de nez de l’auteur, une belle introduction à toute son œuvre.