Sixième roman de l’auteur, Black est un beau travail historique, une fiction bien documentée sur la traite des esclaves africains au cours du XVIIe siècle. L’auteur relate toutes les étapes de cet épouvantable commerce : la construction des bateaux avec leurs faux ponts aménagés en cales à esclaves ; les péripéties du voyage, du port de Nantes jusqu’au Sénégal ; les razzias du roi africain Noya pour capturer des esclaves ; les marchandages des négriers blancs ; le transit par les captiveries de l’île de Gorée et la livraison finale des « pièces d’Inde » – c’est ainsi que l’on nommait les esclaves – en Martinique.
Un personnage est le fil conducteur de tout le récit : il s’agit de Souma, Souma le Malinké – du nom d’une ethnie d’Afrique occidentale – le fils du chef du village de Wal. Au rythme des hivernages et des sécheresses, des rituels initiatiques et des tabous, Souma grandit, écoute le griot et le guérisseur, jure fidélité aux ancêtres, découvre la sagesse et la puissance des génies de son peuple. Il devient un homme. Souma est reconnu par les siens comme un chef, un prophète et un protecteur : il devient si fort qu’on lui attribue les totems du lion et du serpent. À l’ombre du grand baobab sacré, la vie s’écoule en harmonie avec la nature, jusqu’à cette nuit durant laquelle « les marchands de chair » incendient le village de Wal, provoquent la frayeur des habitants, réduisent en cendres le patrimoine et la mémoire du peuple malinké. Souma et quelques autres sont capturés, battus, enchaînés, vendus, entassés dans des bateaux, exilés et mis au travail dans les sucreries de Martinique.
L’auteur s’attache, avec éloquence, à raconter l’innommable : l’ignominie des conditions de transport, l’attitude outrageante des négriers, la mauvaise conscience de certains religieux et de médecins, l’ambition et la cruauté des colons, l’avilissement et la chosification planifiée des hommes. Mais rien ni personne, ni les coups ni les humiliations du commandeur, ne peuvent faire oublier à Souma qu’il est le double de Soudjata, « celui qui ne se soumet pas ». Il devient, à l’intérieur de la plantation, une figure emblématique : celle de la liberté en puissance. Souma organise l’insurrection, met le feu à la plantation de Boisvert, prend le chemin du marronnage avec 287 esclaves et retrouve sa liberté. Une belle histoire qui nous invite au devoir de mémoire.