Résultat d’une thèse de doctorat en théologie, ce livre stimulant cherche moins à circonscrire la pensée de Derrida au sujet des questions religieuses qu’à voir à l’œuvre ses modalités d’inscription dans le tissu de son texte. Voilà à nouveau ouverte la question du lieu et du mouvement de l’écriture dans son douloureux rapport à la métaphysique, dans la mesure où « dire Dieu » revient à demander : à partir d’où la possibilité d’écrire « théologiquement » s’offre-t-elle ?
C’est sur l’orbite de cette interrogation cruciale en nos temps de détresse que Nault développe, dans l’horizon du langage même ‘ et contre les tentatives de réappropriation de théologiens anglicans comme Graham Ward (Barth, Derrida and the Language of Theology) tout autant que contre les critiques aveugles comme celles de Claude Gefré ‘ deux thèses aporétiques et négatives : 1 – la déconstruction n’est pas théologique, la différance (avec un « a », bien sûr), le jeu, la trace ou le gramme venant empêcher de réduire l’écriture paléonymique à l’onto-théologie occidentale ; 2 – la déconstruction n’est pas contre-théologique, comme on fait mine de le croire, surtout aux États-Unis, en oubliant que c’est par l’esthétique du sublime (déployée de Longin à Lyotard) que Derrida passe d’une économie à une anéconomie fournissant les bases des logiques du don et de la promesse. Bref, une athéologie dont la figure privilégiée serait, non pas l’alliance, mais l’hymen, lieu ayant lieu dans l’entre du désir et de l’accomplissement, lieu de traversée de la mère rouge. Nault poursuit ainsi, sans pour autant s’y astreindre, les travaux de John D. Caputo qui cherchait, dans son étude sur la religion de Derrida (The Prayers and Tears of Jacques Derrida), à éclairer l’alliance juive située au cœur de la réflexion et de la passion du philosophe de l’indécidable. Il soulignait ainsi que la prière, le don, la demande, l’amitié et toutes les formes d’attention à l’autre s’exprimant dans son témoignage éthico-politique trouvent leur ancrage dans une religion plus prophétique qu’apophatique, plus messianique et eschatologique que mystique. En soutenant ses deux thèses, Nault démontre alors comment la déconstruction, lieu de foi et de promesse, en arrive à étendre les marges de la passion.