Jean Malaurie
HUMMOCKS
T. 2, ALASKA – TCHOUKOTKA SIBÉRIENNE
Plon, Paris 1999, 709 p. ; 67,95 $
Jean Malaurie a beau dire, inspiré par Buffon, « plus je sais, moins j’ai de certitudes », il ne parvient pas à toujours refouler les sursauts de colère ou les vagues de nostalgie. Ce que subissent les populations circumpolaires lui paraît, au mieux, inadapté, au pire cruel et même meurtrier. En cours de route, il écorche à peu près tous les gouvernements, du Danemark au Canada, de la Russie aux États-Unis, qui ont eu à traiter avec les habitants du froid. En nuançant cependant.
Prétention excessive de sa part ? Sans doute serait-ce le cas si le gigantesque et durable Malaurie ne menait pas ses observations avec tant de minutie, autant de prismes complémentaires, en poussant aussi loin les comparaisons. S’il étudie les effets du froid nordique sur la pierre et la végétation au cours d’une trentaine d’expéditions et de longs séjours, c’est pour les mettre en parallèle avec ce que le Hogar africain lui a dit au sujet des alternances du chaud et du froid. S’il entreprend sa carrière avec les outils conceptuels du géologue, c’est pour ajouter au fil des ans les éclairages de maintes autres disciplines. Pour mieux comprendre ceux qu’il dénomme les derniers rois de Thulé et chacun de leurs voisins, il s’initiera aux diverses langues, s’approchera respectueusement des mystères du chamanisme, osera s’interroger à haute voix sur la place et le rôle de l’homosexualité dans les cultures nordiques, vivra et mangera comme vivent et mangent les humains du septentrion.
À mesure que se déroule le témoignage de Malaurie, décennie après décennie, les questions se précisent. La plupart gravitent autour de la difficile relation entre les fragiles cultures du Pôle et les gouvernements qui, depuis leur confort et leurs certitudes, multiplient les maladresses à l’égard de leurs minorités nordiques. Même les bonnes volontés des élus et des bureaucrates aboutissent, en effet, au sortir de boucles différentes, au même piteux résultat : on infantilise, on contamine, on nivelle, on déporte. De ce point du vue, il importe peu que les perspectives et les méthodes diffèrent, puisque toutes anémient et déciment. Malaurie analyse, éclaire, balise les recherches et les gestions souhaitables.
Il a, on s’en doute, bousculé autant d’idées préconçues que de gestionnaires suffisants et d’universitaires cloisonnés. Il rend pourtant hommage à ceux, nombreux malgré tout, qui ont fini par consentir à le laisser circuler, interroger, blâmer. On peut s’étonner, cependant, quand Malaurie salue avec respect ses interlocuteurs canadiens, de ne trouver que des références au gouvernement central et que jamais ne surgissent les noms, par exemple, d’Éric Gourdeau, de Bernard Saladin d’Anglure ou de Louis-Edmond Hamelin. Querelles de spécialistes ? Espérons qu’il y a d’autres hypothèses, car une telle fresque doit bannir les petitesses.