Voilà un grand roman de notre époque, moins parce qu’il est plongé en elle que parce qu’il en dit les possibles et la déchirure ontologique, en énonce à travers de fabuleux personnages les pôles apolliniens et dionysiaques. Tous les débats imaginables (des principes du bouddhisme aux problèmes raciaux, de la marchandisation du corps vénalement réduit au « cul », du conditionnement physique ou du végétarisme à la violence urbaine ou aux télécommunications) forment ici la trame d’un texte anthropophage, d’une tragédie se nourrissant de l’ensemble de l’existant. Nous assistons en direct au grand concert de la libération souhaitée par James Joyce, à savoir une libération des formes d’appartenance et d’aliénation : la famille, la nation et la race. Les frontières, basta ! Accueillons la vérité des flux, de la nudité radicale et de l’altérité. Ce pourquoi le privé et le public s’actualisent dans des formes culturelles – orgasmiques et religieuses – jusqu’à récemment inconnues. Le croira qui le voudra : la musique est au cœur de cette mutation teintée de l’ironie sacrificielle nécessaire à toute création.
Vina Apsara (de apsaras, « naïade »), bacchante rock (Di-Vina), « miroir de la culture » et « non-vierge replâtrée », est l’héroïne de cet opéra mythique dans lequel le rythme répond à la puissance des tremblements de terre, l’Immense fournissant le pivot sismique de l’imagination, c’est-à-dire de l’amour et de la mort sous leurs formes les plus simples et les plus complexes. Par sa voix, elle se dégage des trajectoires imposées qu’imprime en nous la grande entreprise mondiale de lavage de cerveaux. Mais cette transcendance, elle la doit à Ormus Cama, son amour ultime, musicien au talent extraordinaire, Pygmalion réunissant les traits de Mick Jagger, Steve Howe, Paco de Lucia et Brian Eno. Pour narrer ce récit du décloisonnement, de la lutte contre les fanatismes religieux, Umeed Merchant, alias Rai, a développé un don d’invisibilité et de dématérialisation par lequel il peut voir « Ce Qui Arrive Vraiment ». De l’Inde aux États-Unis en passant par l’Angleterre, le désir des protagonistes s’allie à leur volonté et à leur passion pour accueillir les grands mystères du monde. La naissance d’un enfant et la mort d’un être humain, même inconnu, en font partie.