Qui ne connaît pas l’hypocrisie proprette du totalitarisme soft canadian, fondé sur le cynisme et l’exclusion ? Mon beau pays, roi du mépris et de l’ignorance humaine, dont l’absence de limite apparaît à ciel ouvert dans le discours clean de notre nomenklatura. La guerre, yes Sir ! Voilà la règle exposée en filigrane par Eddy Garnier dans Vivre au noir en pays blanc, ouvrage mariant la fiction et l’essai (le discours l’emportant nettement sur le récit) dans une spirale dont la forme, élaborée par Frankétienne, permet de multiplier le désir et d’élargir « l’arc de vision » à partir des synesthésies baudelairiennes.
Manolito arrive au Canada-Québec-Montréal. Son compatriote, Ti Ben, très entiché des belles Québécoises, l’accueille et le guide dans son nouvel enfer, à savoir la démocratie, « mot poubelle » désignant « la liberté de faire collectivement ce qu’on t’impose de faire » ou encore, dans un autre registre, une « vulve en chaleur et craignant l’opinion publique ». Première leçon : fermer sa gueule et savoir que l’accès à la citoyenneté passe par une gestion débridée du cul. Deuxième leçon : Nwèr (Nigger, c’est-à-dire NON-Blanc, Bleu) de son état, Ti Mano doit assumer qu’il appartient à la « minorité visible », prise de conscience qui met en lumière le principe primaire de la relation de forces par lequel l’argent muselle la pensée, usurpe le désir de l’autre. Les usuriers de l’Occident fréquentent peu cheikh Antha Diop.
Que notre jeune immigrant songe au suicide, quoi de plus normal devant cette radieuse perspective. Sorti d’une dictature politique, il est entré dans une dictature économique impliquant la déréliction collective et la stérilisation absolue de toute relation interpersonnelle. Parfois réactionnaires, parfois novatrices, souvent tirées par les cheveux et exposées sur un mode pédagogiquement assommant, les théories violentes de Ti Ben sont en tout cas toujours ancrées dans la réalité, la caricature offrant en négatif la vraie nature de la bête. S’il ne visait que les préjugés de la société canado-québécoise, le livre d’Eddy Garnier s’effondrerait de lui-même. Mais le fait est qu’il fustige également, à tort ou à raison, les tabous de sa propre communauté. Il s’agit donc de lutter de manière méthodique et pragmatique selon les données du pays d’« accueil » sans mimer et sans abandonner ses valeurs d’origine, en maintenant le désir de s’élever à sa propre hauteur, comme tous ces inventeurs noirs du fer à cheval, de l’ascenseur ou du téléphone cellulaire.