Maud Graham n’a pas de chance ; elle qui aurait tendance à fuir les hôpitaux, la voilà qui y passe le plus clair de son temps, entre ses visites à son partenaire, André Rouaix, victime d’un accident de voiture, et celles à Maxime, jeune garçon d’une dizaine d’années témoin d’une fusillade au cours de laquelle il a reçu une balle perdue. Le père du garçon, « musicien sans contrat, petit informateur, parfois vendeur de hasch », grièvement blessé, est dans le coma. Graham compte donc sur Maxime pour l’aider à identifier les agresseurs. Le jeune garçon prétend ne se souvenir de rien, et Graham s’emploiera à l’apprivoiser, comme elle sait si bien le faire avec les témoins, « tissant sa toile, attendant qu’un aveu s’y égare ». Maxime continue de se retrancher derrière sa prétendue amnésie, et telle est prise qui croyait prendre : Graham se prend d’affection pour l’enfant, à tel point qu’en attendant que la mère puisse être rejointe et que le père aille mieux, elle hébergera ce jeune garçon si attachant.
Maxime, attentif et généreux, retourne souvent au CHUL rendre visite aux autres enfants de l’unité de pédiatrie. Il s’intéresse de près au petit Kevin, qui y fait de fréquents séjours et dont on ne parvient pas à identifier la maladie. Les maux de Kevin et le comportement étrange de la mère du jeune enfant ne laissent pas d’intriguer et d’inquiéter le personnel du CHUL, dont Nicole, infirmière et épouse de Rouaix, que Graham connaît bien…
Renouant avec les sources du roman policier, qui est né lorsque les auteurs de récits à énigmes ont commencé à puiser dans les faits divers, Chrystine Brouillet affectionne les problèmes de société les plus difficiles à regarder en face, les plus dérangeants ; dans Un bonheur terrifiant, Maud Graham se colletait avec les sectes, dans Le collectionneur, avec les tueurs en série, et dans C’est pour mieux t’aimer mon enfant, avec la pédophilie et l’inceste. Dans Soins intensifs, elle décrit avec une précision à la fois humaine et clinique le syndrome de Münchhausen par procuration, trouble psychologique méconnu qui incite les personnes qui en sont atteintes – le plus souvent, des femmes – à inventer ou à provoquer artificiellement des maladies chez leur enfant dans le but d’établir un contact avec le milieu médical. Chrystine Brouillet pousse le souci documentaire jusqu’à tenter de percer la logique propre de la mère atteinte de ce syndrome rarissime et si difficile à diagnostiquer ; ce faisant, elle nous entraîne jusque vers l’insoutenable, dans les méandres de l’esprit malade de cette mère à la limite de l’infanticide.
Comme si nous édifier et nous faire frémir d’horreur ne suffisait pas, Chrystine Brouillet calme nos angoisses en nous mettant au passage l’eau à la bouche lors des retrouvailles gastronomiques de Maud Graham et de son soupirant épicurien, Alain Gagnon, médecin légiste. Et puis, elle nous émeut lorsqu’elle évoque l’affection croissante entre le jeune Maxime et Maud, qui semble se laisser tenter par les douceurs de l’instinct maternel… Ou encore, elle nous charme lorsqu’elle parle de Léo, personnage à part entière, le « chat tout gris » qui « mange du gâteau », et dont Maud garde précieusement une photo dans son portefeuille.
Sur le mode contrapuntique, Chrystine Brouillet nous fait ici l’offrande d’une intrigue polyphonique parfaitement maîtrisée où les voix se superposent, se recoupent, se rejoignent en des entrelacs tissés avec intelligence et sensibilité. L’auteure nous concocte avec brio des hasards, des quiproquos qui s’enchaînent avec un naturel désarmant pour nous conduire vers une conclusion au suspense haletant, comme on les aime…