Allégorie sur la quête du bonheur, ou sur notre propension naturelle à l’esquiver, le dernier livre de Christian Bobin illustre à nouveau, si besoin était, le malin plaisir que prend ce dernier à se jouer des genres et des règles les régissant. En dépit de l’appellation « roman » apparaissant en première de couverture, c’est davantage au conte qu’emprunte ici la forme de Tout le monde est occupé. Le titre renvoie d’emblée au sérieux du monde adulte, à sa lourdeur et à l’ennui du quotidien qui s’ensuit. « La terre est devenue infréquentable, constate le narrateur, il est temps de réinventer d’autres façons d’y être, des maisons qui ressemblent à des barques ou des berceaux. »
Tout le monde est occupé. Qui à réussir des études afin d’obtenir les diplômes qui auront valeur de passe-partout, qui à gravir les échelons d’une entreprise jusqu’à son sommet avant de découvrir le vide qui s’offre au regard, qui à rechercher la célébrité avant de sombrer dans l’anonymat. Tout le monde est malheureux, chantait le poète sur un air de gigue en nous adressant un large sourire entre deux couplets. Christian Bobin gigue avec les mots, les fait danser sous nos yeux pour nous rappeler la légèreté, la beauté, « le fou rire des feuilles dans la petite brise du soir ». Le bonheur est suspendu au bout de notre regard, comme nous le sommes de nos chimères. « Nous nous déplaçons avec nous-mêmes, nous nous déplaçons en nous-mêmes. Le bout du monde et le fond du jardin contiennent la même quantité de merveilles. »
C’est sur le mode de la fantaisie que Christian Bobin réinvente le monde. Le lecteur ne devra donc pas se surprendre d’y retrouver un chat conversant avec un canari, une Vierge en plâtre prendre la clé des champs, des amoureux léviter des semaines entières, et des enfants se prénommer Manège, Tambour et Crevette. Ariane, autour de qui gravite ce joyeux monde, incarne à elle seule la magie, la plénitude, la folie nécessaires pour nous rappeler que « la terre est ronde et que l’aube chaque fois se lève, se lève, se lève ».