Rien de nouveau dans cette vigoureuse défense et illustration de la psychanalyse qui s’adresse au grand public. L’homme étant plus complexe que ne cherchent à nous le faire croire la techno pharmacologie, la génétique et les sciences cognitives en le transformant en machine programmable, la cure par la parole, loin d’être en voie de disparition, se trouve plutôt – qu’on me pardonne l’expression – en voie de développement, promise à un avenir pour ainsi dire obligé. Car un médicament, s’il aide en plusieurs occasions, ne guérit pas un sujet souffrant de s’être déserté et surtout, ne lui permet pas de se réapproprier un espace de vie lorsque celui-ci s’est rétréci comme peau de chagrin.
L’hypothèse de Roudinesco, nullement originale, on en conviendra, consiste à partir du fait que, contrairement à ce que clame le triomphalisme cynique du néo-libéralisrne, nous vivons actuellement dans des sociétés hautement dépressives, lesquelles ruinent évidemment les résistances de l’individu et, par le fait même, autorisent le déferlement d’une nouvelle barbarie. Et que la solution des psychotropes n’en est pas une, loin s’en faut. Dans ce contexte où le DSM IV, ouvrage incroyablement ignare s’il en est un, reste le manuel de base du classement des « troubles mentaux », la psychanalyse semble mal en point. Voilà l’illusion. Il importe donc, aujourd’hui plus que jamais, de remettre les pendules à l’heure en continuant à poser que l’inconscient constitue le fondement d’un sujet de droit, la famille un lieu incontournable d’inscription symbolique. C’est dire le rôle politique de la psychanalyse pour faire justice au travail des femmes et du féminin dans l’émergence de sociétés plus « raisonnables ». La question reste de savoir si cette méthode pourra vraiment développer une praxis branchée sur la réalité sociale.
Cela dit, plusieurs exagérations de l’auteure ne rendront certainement pas service à la démocratisation souhaitée. Pourquoi amalgamer, avec un mépris à peine voilé, les pratiques des voyants et rebouteux aux pratiques énergétiques pour la plupart originaires de l’Orient et qui demandent une rigoureuse maturation du savoir-faire et du « savoir-être » (ce dernier critère n’étant pas particulièrement prisé parmi la gent médicale) ? Dans la mesure où plusieurs de ses critiques (telle celle des thèses d’Adolf Grünbaum, l’anti-freudien le plus acharné des États-Unis) s’avèrent tout à fait efficaces, on se demande pourquoi, alors que cela est tout à fait faux, Roudinesco affirme que toutes les psychothérapies ont entre autres en commun de contourner l’inconscient, la sexualité et le transfert. II y a dans ces propos une dangereuse tendance à la simplification et à la généralisation, sensible lorsqu’il est avancé, dans une formulation pour le moins troublante, que malgré ses difficultés, « partout la psychanalyse règne en maître ». Mon sujet n’est pas ici d’opposer une philosophie des soins à une autre, mais bien de rappeler que ce qui compte à la fin, c’est moins la légitimation d’une institution que le mieux-être et la dignité de ceux et celles qui souffrent. Est-ce un hasard si Roudinesco laisse le corps dans une ombre épaisse ?