André Pratte est un journaliste déçu de sa profession. Ses objets de récriminations sont nombreux. Il lui reproche sa paresse, son goût pour l’effet, sa tendance à confondre l’image et le message, son esprit moutonnier, son cynisme, son besoin de trouver des coupables à tout prix. Il en veut pour preuve la démagogie des bonimenteurs radiophoniques, la couverture ad nauseam des faits et gestes des stars du moment, la prépondérance des ragots sur l’information documentée et la place démesurée accordée par les médias aux faits divers ou aux sports.
André Pratte ne nie pas l’intérêt d’une presse d’humeur ou la nécessité du human interest dans l’information, il en condamne la suprématie. « Notre premier devoir, comme journaliste, écrit-il, c’est de fournir à la population des informations lui permettant de se faire une opinion. » En outre, alors qu’elle devrait ouvrir sur le monde, la presse se cantonne de plus en plus dans la sphère du privé, le « you news », qu’illustre la montée de l’information liée à la vie privée : ma maison, mon budget, mes vacances, mon auto, etc.
Faut-il pour autant y voir un signe de décadence ? La marque d’une dégradation récente ? À ce sujet, l’essayiste nous rappelle, preuves à l’appui, que la presse a de tout temps préféré nourrir les fantasmes de ses lecteurs plutôt que de les éclairer, préféré faire sensation plutôt que de faire réfléchir. Les excès de la presse ont donc une riche tradition et André Pratte ajoute son nom à une longue liste de détracteurs.
Il faut dire que l’ambiguïté du métier favorise les dérapages. D’un côté, nous dit-il, le journaliste exerce son métier dans une entreprise qui a pour finalité d’amener des auditoires à des annonceurs, alors qu’il se perçoit comme un pédagogue de la citoyenneté. Des grands « passeurs », André Pratte en évoque quelques-uns à la fin de son ouvrage : l’Américain Edward Morrow, le René Lévesque de Point de mire et le Claude Ryan de la rue Saint-Jacques, par exemple. Il signale à notre attention le Christian Science Monitor (http ://www. csmonitor. com), quotidien de Boston qui, malgré une qualité journalistique indéniable, ne survit toutefois que grâce à la générosité de la congrégation qui l’a vu naître.
L’essai d’André Pratte alimentera sans doute une vieille méfiance envers les journalistes. C’est dommage, car outre le fait de mettre injustement tous les journalistes dans le même panier, on oublie que ce qui est à craindre, c’est moins une presse laxiste que le large segment de la population qui la plébiscite.